Arundhati Roy témoigne sur les grands barrages dans le cadre de la Commission des droits de l'homme
5 mars 2002
A l'invitation de la Déclaration de Berne (ONG suisse), en collaboration avec Earthjustice Legal Defense Fund (US), la célèbre auteure indienne Arundhati Roy et la cinéaste Jharana Jhaveri ont témoigné, jeudi 23 mars, dans le cadre de la Commission des droits de l'homme à Genève. Devant un parterre de délégués, d'ONG et de médias, elles ont évoqué les graves problèmes de droits de l'homme posés par la construction de barrages géants dans la vallée de la Narmada en Inde.
En introduction, Yves Lador (Earthjustice Legal Defense Fund) a relevé combien les grands barrages conjuguent les problèmes de droits de l'homme et d'environnement. "Ces problèmes reflètent la nécessité d'assurer le droit d'accès à l'information et à la participation des personnes affectées par ces projets. Sinon, des violations massives des droits de l'homme sont programmées" a-t-il déclaré. De son côté, Thierry Pellet (Déclaration de Berne) a rappelé que les 40'000 grands barrages dans le monde ont déplacé de gré ou de force plus de 60 millions de personnes. "L'expérience montre que les coûts humains et écologiques de ces méga-projets sont toujours sous-évalués" a-t-il expliqué.
Arundhati Roy a dénoncé les graves problèmes de réhabilitation des personnes déplacées par le barrage de Sardar Sarovar. "Il n'y a pas assez de terres disponibles et la majorité des personnes touchées sont des Adivasis, minorité indigène déjà très marginalisée", a-t-elle souligné, en ajoutant que "même la Cour Suprême indienne semblait reconnaître ce problème puisqu'elle avait demandé des compléments d'informations aux autorités de l'Etat du Gujarat". En conclusion, elle a rappelé que ces "temples de l'Inde moderne", comme se plaisait à les appeler Nehru, se construisent au détriment des plus pauvres et au prix de graves violations des droits de l'homme.
Jharana Jhaveri a décrit les problèmes rencontrés sur le chantier du futur barrage de Maheshwar lors d'une grande manifestation pacifique en janvier dernier: les forces de police ont jeté un millier de personnes en prison. "La situation semble actuellement sans issue et de nouvelles répressions et violences sont prévisibles; c'est pourquoi nous demandons, avec le Narmada Bachao Andolan (Save the Narmada Movement), l'arrêt immédiat de tous travaux" a-t-elle terminé.
Informations de base
- Un projet prévoit la construction de 30 grands barrages, 135 de taille moyenne et 3'000 petits dans la vallée fertile du fleuve de la Narmada au centre de l'Inde. Plus de 100'000 personnes ont déjà été déplacées par les six barrages construits, sans avoir été relogées convenablement. Si tous les barrages prévus étaient construits, il faudrait compter au moins un million supplémentaire de personnes à reloger. Les travaux du barrage de Sardar Sarovar ont été arrêtés à 85 m. de hauteur (sur 138 m.) par une décision de la Cour Suprême à cause des problèmes de réhabilitation des personnes déplacées. Une décision définitive doit encore venir.
- La firme suédo-suisse ABB est impliquée dans le barrage de Maheshwar dont les travaux ont débuté récemment. Les gros problèmes sociaux et écologiques du projet ont conduit les habitants à se mobiliser. La Déclaration de Berne suit le dossier de près et s'opposera, en Suisse, à l'octroi d'une garantie de la Confédération contre les risques à l'exportation en faveur d'ABB.
- Arundhati Roy, lauréate du Booker Prize en 1997, raconte avec verve et talent les problèmes des grands barrages en Inde et la lutte dans la Vallée de la Narmada dans sa nouvelle Pour le Bien Commun, publiée chez Arcades/Gallimard (1999, in Le Coût de la Vie). La cinéaste Jharana Jhaveri est l'auteure d'un film, "Kaise Jeebo Re!" (How do I survive, my friend!) sur les barrages de Bargi et de Sardar Sarovar sur le fleuve de la Narmada.