Assemblée mondiale de la santé: les intérêts privés avant la santé publique
Lausanne, 13 mai 2010
Financement de la recherche, lutte anti-contrefaçons, échange de virus grippaux à potentiel pandémique: ces trois thèmes clés sont à l’ordre du jour de la 63e assemblée mondiale de la santé, qui s’ouvrira lundi prochain à Genève. Ils laissent présager des débats houleux et très polarisés, avec d’un côté les pays du Nord et leur attitude protectionniste vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, et de l’autre les pays du Sud qui revendiquent un partage plus équitable des ressources et plus de flexibilités concernant les brevets. Au milieu, l’OMS, en sérieuse perte de leadership. Les rapports de force économico-politiques et les intérêts privés risquent de l’emporter, une nouvelle fois, sur les besoins de santé publique, ce que déplore vivement la Déclaration de Berne.
Depuis son adoption en mai 2008, le plan d’action de l’OMS pour relancer la recherche et développement (R&D) pharmaceutique n’est toujours pas opérationnel. Chargé d’étudier les plus de 90 propositions de financement innovantes censées pallier au désintérêt du Nord pour les maladies du Sud, le groupe d’experts mandaté par l’OMS est sous le feu des critiques, accusé tour à tour d’opacité, de partialité et de connivences avec l’industrie pharmaceutique. La Suisse, peu généreuse en matière de financement de la R&D pour les maladies négligées en comparaison de ses moyens, souhaite que cette question soit liée avec le financement du développement en général. De leur côté, des pays du Sud demandent la révocation d’un rapport ne répondant pas aux attentes et tronqué, ainsi qu’un processus alternatif plus transparent. Pendant ce temps, des millions de personnes continuent à mourir de maladies guérissable, faute de traitements.
A la mode, les initiatives visant à lutter contre les contrefaçons se multiplient, y compris au sein de l’OMS, sous l’impulsion de la Suisse et d’autres pays industrialisés, partisans d’un durcissement des droits de propriété intellectuelle. Toutes ces initiatives (ACTA, MÉDICRIME, IMPACT, Afrique de l’Est) reposent sur une définition biaisée de la contrefaçon, criminalisant sans distinction des violations de marque, relevant du droit privé, et des médicaments de moindre qualité, représentant un réel problème de santé publique. Elles instaurent ainsi un climat généralisé de «présomption de culpabilité», mettant en péril le commerce international de médicaments génériques, copies parfaitement légales dont dépendent de manière vitale les pays du Sud. Dans une lettre ouverte à la Directrice Générale de l’OMS, des ONGs – dont la Déclaration de Berne – demandent à l’institution onusienne de se distancer des initiatives anti-contrefaçons en cours et de se concentrer sur son vrai mandat: l’accès à des médicaments abordables et de qualité pour tous.
La vague de grippe H1N1 à peine passée, la question de l’échange international de virus grippaux à potentiel pandémique continue à faire l’objet d’âpres discussions, depuis le refus en 2007 des pays du Sud d’échanger du matériel viral tant qu’un partage équitable des avantages n’était pas garanti. Des laboratoires du Nord peu scrupuleux avaient en effet breveté du matériel viral ou ses dérivés sans consentement préalable et sans contrepartie pour les pays fournisseurs, une pratique qualifiée de biopiraterie au sens de la Convention sur la diversité biologique (CBD). Réunis ces trois derniers jours au siège de l’OMS, les Etats membres ont tenté une dernière fois de s’entendre avant l’assemblée mondiale, en vain, sur un accord type de transfert de matériel viral devant garantir une équité ainsi qu’une traçabilité des échanges. Partisans d’une solution contraignante pour un accès équitable aux vaccins pandémiques, les pays du Sud font face à l’obstruction systématique des pays du Nord, dont la Suisse, réticents à l’idée d’un accord limitant la marge de manœuvre de leur industrie pharmaceutique.
Pour plus d’informations:
- Patrick Durisch, responsable du programme santé (sur place toute la semaine à Genève), Tél. 079 413 60 15, durisch@ladb.ch
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