Banques, immeubles et avocat: les ramifications suisses de l’affaire Riad Salamé

À la tête de la banque centrale du Liban (BDL) durant trente ans, Riad Salamé est largement tenu pour responsable de l’effondrement financier du Liban en 2019, un pays qui est à nouveau plongé dans l’enfer de la guerre, bombardé depuis fin septembre par Israël. Celui qui a quitté ses fonctions à l’été 2023 est aussi soupçonné d’avoir détourné des centaines de millions de dollars au détriment de la BDL. Il est sous enquête pour blanchiment d’argent présumé dans une dizaine de pays, dont la Suisse. À Genève, près de 330 millions de dollars présumés illicites ont été identifiés sur des comptes à HSBC Private Bank (Suisse) SA. Selon des documents exclusifs consultés par Public Eye, une partie de ces fonds lui a ensuite permis d’acquérir deux biens immobiliers sur la Côte vaudoise, dont un immeuble à Rolle en 2019, comme nous le révélons. Pour réaliser ces achats, Riad Salamé s’est abrité derrière deux sociétés de droit suisse enregistrées et administrées à Genève par un avocat genevois. Ce dernier agissait en tandem avec un promoteur immobilier bien connu de la place.

Arrêté à Beyrouth le 3 septembre, Riad Salamé est au cœur d’une enquête internationale qui a permis d’identifier les montages complexes ayant servi au détournement présumé de fonds publics. Les recherches de Public Eye viennent compléter ce tableau, en mettant en exergue les ramifications suisses de l’affaire Salamé. La procédure pénale ouverte en Suisse par le Ministère public de la Confédération contre Riad Salamé et son frère Raja pour soupçons de blanchiment d’argent aggravé a permis d’établir qu’entre avril 2002 et mars 2015, près de 330 millions de dollars (US) provenant de la BDL ont été versés à HSBC Private Bank (Suisse) SA, à Genève, sur le compte de Forry Associates, une structure offshore enregistrée aux îles Vierges britanniques. Son ayant droit économique est Raja Salamé. Une partie de cet argent a ensuite été ventilée vers des comptes au Liban ainsi que vers des sociétés offshore dont Riad Salamé, alors en poste, était le bénéficiaire ultime et qui avaient pour la plupart leurs comptes en Suisse. Selon les enquêteurs, ces fonds présumés illicites auraient permis au clan Salamé de se constituer un patrimoine immobilier dans plusieurs pays.

En Suisse, Riad Salamé s’est appuyé sur deux sociétés de droit suisse qu’il contrôlait: SI 2 SA et Red Street 10 SA, qui ont reçu directement et indirectement des fonds présumés illicites de Forry Associates. Elles sont toutes deux administrées par un avocat genevois et domiciliées à l’adresse genevoise d’un important groupe immobilier. Comme nous le révélons sur la base de documents inédits, Red Street 10 SA – et en arrière-plan son ayant droit économique Riad Salamé – est aujourd’hui propriétaire de deux immeubles de bureaux à Morges et à Rolle. Ce dernier bien, d’une valeur de 17 millions de francs, a été acquis en août 2019, quelques mois avant que le Liban ne plonge dans l’une des pires crises financières de son histoire. Contacté, l’avocat genevois souligne qu’après «quatre ans d’enquête, le Ministère public de la Confédération n’a manifesté ni intérêt à m’entendre ni reproche à mon endroit». Il a momentanément empêché la publication de notre enquête par une requête de mesures superprovisionnelles, avant qu’un accord ne soit trouvé devant le Tribunal de première instance de Genève.  

À ce jour, la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) ne s’applique aux activités des avocat·e·s que s’ils agissent comme intermédiaires financiers. Sous la pression internationale, le Conseil fédéral avait déjà tenté de les soumettre aussi à des devoirs de diligence pour les activités de conseil – par exemple la création, la gestion et l’administration de sociétés – mais cette réforme a été rejetée par le Parlement en 2021, après deux ans d’intense lobbying d’une partie de la profession. Dans le cadre de la révision en cours de la LBA, une version a minima de cette réforme est à nouveau combattue bec et ongles, promettant d’intenses débats au Parlement, comme nous l’avons raconté dans une précédente enquête.

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