Géants de la mode au Tessin: peu d’impôts et des salaires de misère
Lausanne, 15 janvier 2016
Depuis 1997, au moins 27 groupes de l’industrie vestimentaire ont pris leurs quartiers au Tessin, en toute discrétion. La plupart de ces entreprises n’y produisent aucune marchandise. Elles se sont installées dans le canton transalpin parce que celui-ci offre des modalités de taxation avantageuses leur permettant de rapatrier les bénéfices réalisés dans les pays de distribution et de production et de les y fiscaliser à des taux très bas. Le secteur de l’habillement est ainsi devenu le principal contribuable du Tessin. Rien d’étonnant: à New York, l’impôt sur les bénéfices est de 41%; à Milan de 25%, alors que, d’après nos estimations, les sociétés de la mode sont imposées au Tessin à des taux très avantageux allant de 5 à 13%.
Malgré l’opacité entourant les conditions d’établissement de ces sociétés au Tessin et leurs activités, la DB a pu estimer l’ampleur des pratiques d’optimisation fiscale auxquelles se livre notamment le géant français Kering, propriétaire de la marque de luxe Gucci. Etablie dans le canton depuis une vingtaine d’années, sa filiale Luxury Good International (LGI) est très rentable, totalisant près de 70% des bénéfices annuels du groupe. Sans toucher la moindre machine à coudre, chacun des quelque 600 employés de LGI a ainsi généré, en 2012, 117 fois plus de bénéfices que les 30 400 autres collaborateurs de Kering dans le monde.
La société américaine VF Corporation jouit aussi de la générosité des autorités tessinoises. Entre 2009 et 2013, elle a transféré au Tessin les activités de sa marque principale, The North Face, et installé son quartier général pour l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient. Si les profits réalisés par VF dans le canton n’ont pas pu être chiffrés, ceux-ci doivent être conséquents: la marque The North Face affichait un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de dollars en 2014. Elle bénéficierait actuellement d’une exemption totale d’impôt aux niveaux communal et cantonal.
Si les géants de la mode n’ont pas le monopole de l’optimisation fiscale débridée, un fait est particulièrement choquant: alors que ces sociétés engrangent chaque année des millions de bénéfices en usant de stratagèmes illégitimes, elles ne s’engagent toujours pas à garantir un salaire vital aux personnes qui fabriquent leurs produits, en Asie et dans plusieurs pays européens. Il est regrettable que les autorités tessinoises et helvétiques aient fait du démarchage de telles sociétés un aspect central du développement économique de la Suisse.
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