La France continue d’exporter des milliers de tonnes de pesticides interdits
Lausanne/Zurich, 30 novembre 2022
Près d’une année après l’entrée en vigueur d’une loi censée mettre fin à cette pratique, la France continue d’exporter massivement des pesticides dangereux dont elle ne veut plus dans ses champs. Entre janvier et septembre 2022, les autorités françaises ont approuvé 155 demandes d’exportation pour des pesticides interdits, comme le montrent des données obtenues par Public Eye et Unearthed en vertu du droit d’accès à l’information. Volume total : 7475 tonnes, dont environ les trois quarts étaient destinés à des pays à revenu faible ou intermédiaire – où les réglementations sont plus permissives et les risques très élevés – comme le Brésil, l’Ukraine et l’Inde.
Si la loi dite Egalim, entrée en vigueur au 1er janvier 2022, prévoit l’interdiction d’exporter des produits phytosanitaires contenant des substances bannies dans l’Union européenne (UE), elle ne proscrit pas l’exportation des substances actives elles-mêmes. Les fabricants sont donc libres de continuer à les exporter, le produit pouvant ensuite être « formulé » dans le pays d’importation. Résultat : depuis janvier, les autorités ont, par exemple, autorisé Corteva à expédier plus de 2900 tonnes de picoxystrobine, un fongicide interdit en raison d’un potentiel génotoxique et d’un risque élevé pour les organismes aquatiques. Cette substance représente près de 40% des volumes de pesticides interdits exportés depuis la France cette année.
Une deuxième faille provient du décret de mise en œuvre de la loi. Selon ses termes, les produits phytosanitaires contenant des substances interdites, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une décision formelle de retrait de la part des autorités européennes et dont l’homologation a simplement expiré, peuvent continuer à être exportés. Les autorités françaises ont ainsi permis à Bayer, BASF, Syngenta ou Nufarm d’exporter plus de 1800 tonnes de produits contenant des insecticides « tueurs d’abeilles » – des néonicotinoïdes ou du fipronil. Ces substances sont bien interdites dans l’UE en raison des risques pour les pollinisateurs, mais elles n’ont pas fait l’objet d’une décision formelle des autorités car les fabricants ont retiré leurs demandes de renouvellement.
Notre enquête soulève aussi des questions quant à la mise en œuvre de la législation par les autorités françaises, qui ont approuvé des exportations tombant en principe sous le coup de la loi. L’exemple le plus significatif : 1300 tonnes de produits contenant de la fénamidone, un fongicide interdit en 2018 par décision formelle des autorités européennes en raison de préoccupations concernant sa génotoxicité et la contamination des eaux souterraines.
Si la nouvelle loi n’a pas mis fin aux exportations françaises de pesticides interdits, les volumes exportés depuis de le début de l’année ont diminué de près de trois quarts par rapport à 2021. Toutefois, pour les géants de l’agrochimie qui possèdent des filiales et des infrastructures dans toute l’UE, il est relativement aisé de délocaliser la production et l’exportation de ces pesticides interdits vers des pays voisins. Une société semble avoir recouru à cette parade : Syngenta. La multinationale exportait, par exemple, de l’atrazine au départ de la France depuis 2004, mais ces exportations ont cessé en 2021. Cette année, elle en a expédié pour la première fois depuis l’Allemagne, vers les mêmes pays.
Ces révélations montrent la nécessité d’adopter une interdiction au niveau de l’UE afin d’éviter que les fabricants se contentent de déplacer leurs exportations toxiques d’un État membre à un autre. Mais après le récent rétropédalage de la Commission européenne, sous la pression des lobbys de l’agrochimie, il n’y a pas de décision en vue pour une telle interdiction. En attendant, la France doit combler les failles qui permettent aux industriels de continuer à exporter, depuis son territoire, de grandes quantités de pesticides interdits, en toute légalité.
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