La Suisse et la Conférence ministérielle de l’OMC à Qatar: l'opinion critique suisse s'opposant à l'OMC demande au Conseil fédéral de modifier sa position
29 octobre 2001
Les organismes réunis au sein de la «Coordination Suisse–OMC» demandent au Conseil fédéral de rectifier en conséquence son mandat de négociation qui sera arrêté mercredi.
Du 9 au 13 novembre, la quatrième conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se tiendra à Qatar. Il y a deux ans, à Seattle, la tentative des pays industrialisés pour instaurer un nouveau cycle de négociation visant de nouvelles libéralisations commerciales avait fait long feu.
Comme lui l’ont reproché lundi, à Berne, les représentants de la «Coordination Suisse–OMC», la Suisse et d'autres pays industrialisés n’ont pas mesuré les conséquences d'une telle initiative. La Suisse aurait l'intention, à Qatar, de s'engager en faveur d'une nouvelle vague de libéralisations, dans le but d'offrir de nouveaux marchés à ses entreprises transnationales, en dépit de l'opposition farouche de la plupart des pays en développement, c'est-à-dire de la majorité des membres de l'OMC. Ainsi, le Secrétariat d'État à l'économie (seco) aurait unilatéralement élaboré, dans ce sens, les bases d'un mandat de négociation pour la délégation suisse, au sujet duquel le Conseil fédéral doit se prononcer mercredi.
Au nom de la Coordination, Peter Niggli, Directeur de la Communauté de travail Swissaid/Action de Carême/Pain pour le prochain/Helvetas/Caritas, a exigé du Conseil fédéral qu’il rectifie la position du seco. Aujourd'hui, plus personne au sein de l'OMC ne conteste le fait que les règles OMC défavorisent les pays en développement. Pourtant, les pays industriels ne seraient disposés à discuter des préjudices en question qu'en échange de nouvelles concessions de la part des pays en développement. Ce n'est pas acceptable, relève le représentant des organisations de développement, alors qu'il est aujourd'hui urgent d'en appeler à des «concessions unilatérales sans contrepartie de la part des pays industriels en faveur des pays en développement». Quant aux nouvelles libéralisations envisagées, il faudrait y renoncer. Le «Katar» devrait marquer l'avènement d'un cycle de négociations voué au développement, avec pour but de pallier aux conséquences négatives pour les pays pauvres des actuels traités OMC.
La Coordination a, de plus, sévèrement critiqué la position suisse face à la question de la protection des brevets par l'OMC (Accord TRIPS). Et les pays en développement exigeront, au Qatar, une déclaration affirmant que la défense de la santé publique prime sur une protection stricte des brevets, comme l’a annoncé Marianne Hochuli de la Déclaration de Berne (DB). La Suisse s'élèverait contre un type plus souple de protection des brevets pour préserver son industrie pharmaceutique, ce qui contraste avec les objectifs définis par la politique de développement qui est celle de la Suisse.
Melchior Ehrler (Union suisse des paysans) et Fernand Cuche (Union des producteurs suisse) demandent à l'OMC de respecter un modèle agricole capable d'assurer une production durable, ainsi que des prestations multifonctionnelles. L'objectif à poursuivre devrait être celui d'une production alimentaire diversifiée et axée sur les besoins des consommateurs en termes de qualité, et cela dans toutes les régions du monde. C'est pourquoi, la Suisse devrait soutenir la revendication des pays pauvres visant une «Boîte de développement», assorti de mesures de sauvegarde pour la petite paysannerie locale.
Rolf Zimmermann, Secrétaire général de la Fédération suisse des syndicats (FSS) a mis en garde contre une libéralisation prochaine des services publics dans le cadre du prochain cycle OMC. «Les services publics en Suisse, sphère extrêmement sensible du point de vue politique, ne doivent pas être soumis à une pression ultérieure à cause de l'OMC», estime le syndicaliste. Par ailleurs, il demande à la Suisse de s'engager pour le lancement d'un dialogue institutionnel entre l’OIT et l'OMC portant sur l'application des normes minimales de travail.
En tant que représentante des organisations environnementales, Miriam Behrens (Pro Natura) a préconisé de faire primer la défense de l'environnement sur les règles commerciales. Tout en concédant que la Suisse s'engage au sein de l'OMC pour défendre l'environnement, Madame Behrens a fait remarquer que cette position se heurtait souvent, toutefois, aux intérêts purement économiques. Elle appelle à une plus grande cohérence en la matière: la Suisse devrait lier toute initiative de libéralisation ultérieure à une «obligation de protection environnementale», de même que soutenir au niveau technique et financier les pays en développement, qui se sont braqués contre toute négociation relative aux normes environnementales par peur d'abus à caractère protectionniste.
Bastienne Joerchel Anhorn de la Communauté de travail des oeuvres d'entraide a relevé que l'OMC n'a pas fait beaucoup de progrès depuis Seattle en termes de transparence et de démocratie. En vue du Katar, les pays en développement auraient fait l'objet de pressions par le biais de méthodes souvent cavalières, afin qu'ils acceptent un nouveau cycle de libéralisations. Au sein même de l'OMC, des pratiques peu démocratiques telles que celle des «green rooms», où les pays pauvres sont totalement sous-représentés, n'ont pas cessé d'avoir cours. Que la conférence ministérielle de l'OMC soit, cette fois, reléguée en plein désert pour échapper aux démonstrations embarrassantes constituerait d’ailleurs un symbole parlant.