Les ONG réclament des règles impératives pour les entreprises multinationales
28 avril 2003
Qu’y a-t-il de commun entre la marée noire qui a frappé les côtes galiciennes et la catastrophe industrielle de Bhopal? Le fait que des entreprises ayant des activités planétaires peuvent saccager l’environnement et ruiner la santé des individus en toute impunité. Plusieurs organisations réclament des règles obligeant les multinationales à faire face à leurs responsabilités – cela dans le monde entier et sous l’égide de l’ONU. La Suisse est appelée à prendre les devants.
Shell contamine le delta du Niger. Au Brésil, Ford fait payer très cher aux contribuables de ce pays la construction d’une usine d’automobiles. Des sous-traitants de Nike font travailler des enfants. Etc., etc. Des multinationales se moquent de l’environnement, de la société et des droits de l’homme pour gonfler leurs profits.
Lors d’une conférence de presse commune donnée ce lundi à l’initiative de Pro Natura, la Déclaration de Berne, Greenpeace, la Communauté de travail des œuvres d’entraide et Amnesty International ont plaidé en faveur de l’instauration de règles contraignantes pour les entreprises multinationales. Ces ONG ont réclamé des normes uniformes dans le monde entier en matière d’environnement, de droits de l’homme, de sécurité et de conditions de travail, ainsi que les moyens de les faire appliquer et d’en contrôler le respect. Elles se réfèrent en particulier à la déclaration d’intention signée par divers chefs d’Etat à l’occasion du Sommet mondial de Johannesburg, déclaration dans laquelle ils soulignent la nécessité de disposer d’instruments juridiques pour réguler les activités industrielles. Notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, Joseph Deiss, l’avait paraphée lui aussi.
Protéger l’être humain et l’environnement contre les excès du marché «Le marché a pour devise de produite vite et au moindre coût. Pour y arriver, les entreprises font pression sur les gouvernements afin d’obtenir des conditions cadres favorables», a déclaré Miriam Behrens, de Pro Natura – Friends of the Earth Switzerland. Dans les pays pauvres, l’être humain et la nature en paient le prix fort. Souvent, les normes nationales ne suffisent pas pour mettre les grands groupes industriels face à leurs responsabilités lorsqu’ils causent des dommages. Et sur le plan mondial, il n’existe pas de règles auxquelles doivent impérativement se tenir les multinationales; les normes internationales actuellement en vigueur, comme celles du «Global Compact» de l’ONU, n’ont pas un caractère contraignant.
«Les initiatives à bien plaire comme le Global Compact, c’est bien. Mais elles présentent l’inconvénient de permettre à de grandes entreprises d’échapper malgré tout à leurs responsabilités», a déploré Andreas Missbach, de la Déclaration de Berne. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, avait lancé le Global Compact en 1999 lors du Forum économique de Davos. A ce jour, 700 entreprises l’ont signé. «Plutôt que de donner aux entreprises l’occasion de redorer à bon compte leur image sociale et écologique, l’ONU ferait mieux d’élaborer une convention contraignante», a renchéri Michel Egger, de la Communauté de travail des œuvres d’entraide. Danièle Gosteli Hauser, d’Amnesty International, a regretté que le Global Compact ne prévoie ni mécanismes de contrôle, ni procédure d’exclusion pour les entreprises qui pourraient avoir participé à des violations des droits de l’homme. «De notre point de vue, il est capital, s’agissant de la responsabilité des entreprises, que des règles impératives soient introduites, portant aussi bien sur les droits de l’homme que sur la préservation de l’environnement».
La catastrophe industrielle survenue en 1984 à Bhopal est un exemple emblématique du manque de responsabilisation des entreprises. Dans cette région de l’Inde, des dizaines de milliers de personnes souffrent aujourd’hui encore de la contamination chimique. Dow, un géant américain de la chimie qui a racheté à Union Carbide l’entreprise de Bhopal en 2001, tente d’échapper à ses obligations en matière d’indemnisation. «Bhopal est un symbole de l’irresponsabilité des grandes multinationales», a estimé Matthias Wüthrich, de Greenpeace.
La Suisse doit prendre les devants
Le Conseil fédéral est appelé à agir sans tarder. Dans une motion qu’il a rédigée avec le concours de Pro Natura, le conseiller national Remo Gysin (PS/BS) exhorte le gouvernement suisse à faire adopter, dans le cadre des Nations Unies, une convention sur la responsabilité des entreprises. Le conseiller national bâlois déposera son intervention au cours de la prochaine session spéciale des Chambres fédérales, début mai. «Des règles internationales de collaboration sont indispensables à l’échelle mondiale pour assurer une répartition plus équitable du bien-être et faire reculer la pauvreté», écrit Remo Gysin dans sa motion.