Liaisons dangereuses dans le secteur suisse du négoce
25 mars 2014
Aujourd’hui numéro quatre mondial du négoce de pétrole, le groupe Gunvor a systématiquement nié devoir son succès à la relation d’amitié unissant son fondateur au président russe, n’hésitant pas à poursuivre en justice les médias qui en faisaient état ou à attaquer la réputation des journalistes intéressés par la question. Guennady Timchenko a connu le «locataire» du Kremlin à la fin des années 1980. Ils ont commercé au début de la décennie suivante, lorsque Poutine était adjoint au maire de Saint-Pétersbourg et Timchenko animateur d’une société d’import-export. Par la suite, Timchenko a fondé un club de judo, dont Poutine a pris la présidence d’honneur.
Encore une petite société au début du millénaire, Gunvor a connu depuis un essor exceptionnel, indissociable du contexte politique russe. Les affaires de Gunvor se sont en effet envolées en 2005, lorsque le groupe Ioukos de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski a été dépecé et ses activités pétrolières confiées à la compagnie d’Etat Rosneft. Deux ans plus tard, le négociant genevois était devenu un géant commercialisant jusqu’à un tiers du pétrole brut russe. Timchenko, qui détenait jusqu’à mercredi encore 43% du capital de Gunvor, jouit d’une fortune évaluée par Forbes à 15,3 milliards de dollars.
La décision des autorités américaines classe de facto Guennady Timchenko dans la catégorie des personnes exposées politiquement (PEP). Dans le secteur suisse des matières premières, en particulier dans le domaine de l’énergie, il est fréquent que des sociétés de négoce soient affiliées à des PEP ou à leur entourage. En février dernier, les autorités judiciaires genevoises ont ainsi perquisitionné les locaux de Mako Trading, une société de négoce de charbon appartenant à Oleksander Ianoukovitch, le fils de l’ancien président ukrainien. D’autres exemples lient, ou ont lié, les plus hautes autorités politiques de pays comme l’Azerbaïdjan, l’Angola, le Nigeria ou le Gabon à des sociétés de négoce établies en Suisse.
Ces liaisons dangereuses font courir un risque de réputation élevé à la Confédération, comme l’a d’ailleurs reconnu le Conseil fédéral. Celui-ci doit désormais s’employer à «mettre de l’ordre dans l’écurie», selon les termes du conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann. Pour cela, la Suisse doit accroître la transparence dans le secteur du négoce et endiguer la corruption qui le gangrène. Les détenteurs de sociétés suisses doivent être identifiés publiquement. Il s’agit par ailleurs d’imposer des devoirs de diligence précis aux sociétés de négoce achetant des matières premières à des sociétés proches de PEP. La transparence des paiements effectués aux gouvernements doit en outre être instaurée afin d’empêcher le détournement de la rente à des fins privées.
Plus d’informations auprès de :
Marc Guéniat, Déclaration de Berne, gueniat[at]ladb.ch, 021 620 03 02