Le Conseil fédéral mise sur la distribution de brochures
Lausanne/Zurich, 21 avril 2021
Ce sixième rapport de l’administration fédérale sur les matières premières témoigne une fois encore d’une grande méconnaissance du sujet, comme le montrent notamment les considérations sur la pandémie de Covid-19. Le secteur pétrolier aurait énormément souffert de l’effondrement des prix au cours de l’an dernier. Or les négociants suisses en pétrole ont tous affiché des résultats records en 2020, à tel point que le Financial Times titrait en janvier: «Commodity traders profit from blockbuster year of market chaos».
Parmi les rares instruments concrets mentionnés dans le rapport de 2018 figurait le Guide pour la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme pour le secteur suisse des matières premières, également publié cette année-là. Les «progrès» soulignés aujourd’hui se limitent au nombre de copies papier distribuées – environ 2500 depuis 2018 – et à la création d’un site internet. Comme la Confédération se repose entièrement sur la bonne volonté des firmes à mettre en œuvre leur devoir de diligence raisonnable, il serait essentiel de disposer au moins, trois ans plus tard, d’informations concrètes sur la manière dont elles utilisent ce guide.
Il est par ailleurs choquant que le rapport actuel mentionne le soutien financier de la «Responsible Mining Foundation», mais reste silencieux sur le fait que cette fondation a publié, en mars dernier, une étude sur la diligence raisonnable et la transparence dans le négoce de matières premières. La conclusion de cette analyse est très embarrassante pour le Conseil fédéral comme pour les sociétés: «La diligence raisonnable des entreprises en matière de risques de violation des droits humains, de flux financiers illicites et d’impacts environnementaux est souvent très limitée». Dix des 25 entreprises considérées dans cette étude sont membres de la Swiss Trading and Shipping Association (STSA). Ce même lobby affirmait en 2018, dans une interview à CNN Money Switzerland, que le secteur a «complètement adopté la diligence raisonnable et la conformité requises aujourd’hui» et que ce guide ne faisait que «codifier» les pratiques existantes des entreprises.
Autre déception: les «estimations (...) sur la taille du secteur des matières premières et sa contribution à l’économie nationale» promises en 2018. Celles-ci se limitent au nombre d’emplois: 9800 au total. Il est au moins clair maintenant que le secteur a multiplié ce chiffre par trois pendant des années à des fins de lobbying, comme l’avait relevé Public Eye en 2017, sur la base de ses propres calculs. Ceux-ci sont très proches des estimations désormais officielles.
Sur un point, toutefois, de réelles avancées sont à signaler, même si elles ne profiteront qu’aux négociants: la procédure de consultation relative à la loi fédérale sur la taxe au tonnage a récemment été lancée. Si elle aboutit, les navires ne seront plus taxés en fonction de leurs bénéfices, mais uniquement de leur volume. Cette préoccupation chère à la STSA menace de devenir une gigantesque échappatoire fiscale pour les maisons de négoce en matières premières qui possèdent ou affrètent leurs propres navires.
Seule l’amnésie peut expliquer le fait que le rapport passe totalement sous silence les nombreuses enquêtes judiciaires, accords et condamnations pénales impliquant des poids lourds du négoce suisse de matières premières ces dernières années. Le Conseil fédéral recommandait pourtant en 2018 que «les ambassades présentes dans des pays riches en matières premières ou hôtes de centres de négoce» suivent attentivement les rapports des médias et le débat public afin «d’identifier dès que possible les risques de réputation éventuels pour la Suisse». Savoir ce qui a été rapporté à Berne depuis le Brésil, l’Équateur, le Mexique, la Côte d’Ivoire, les deux Congos, le Royaume-Uni et les États-Unis serait par conséquent très pertinent. Car tous ces pays sont concernés par des procédures de corruption impliquant des sociétés suisses de matières premières.
Cette réalité et l’inaction du Conseil fédéral montrent une fois encore la nécessité de soumettre les négociants en matières premières à des devoirs de diligence raisonnable contraignants en matière de droits humains et de corruption. En proposant la création d’une autorité de surveillance du secteur des matières premières, la ROHMA, Public Eye a montré comment celle-ci pourrait enfin imposer des règles claires et sanctionner les entreprises irresponsables.
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