Pétrole et corruption: la condamnation d’un ex-employé accable les dirigeants de Gunvor
Lausanne/Zurich, 28 août 2018
À Bellinzone, la condamnation prononcée par le Tribunal pénal fédéral intervient dans le cadre d’une procédure simplifiée négociée par un ex-employé de Gunvor avec le MPC. Pascal C. a détaillé cinq pactes corruptifs ayant permis à la société de faire main-basse sur des cargaisons de brut et de produits pétroliers entre 2009 et 2012. Entre la Côte d’Ivoire et le Congo, le total des commissions payées atteint 43 millions de dollars, selon nos calculs. Dans son rapport, publié en 2017, Public Eye mettait déjà en lumière les pratiques douteuses de Gunvor au Congo et documentait les ramifications de cette affaire tentaculaire. Les aveux de l’ancien «business developper» ont permis au procureur «de comprendre l’envergure de l’activité corruptive» intervenue au sein de Gunvor. Il est «la seule personne impliquée dans les faits incriminés à avoir fourni des explications sur ses agissements».
Ratifiés par le Tribunal, les faits détaillés dans l’acte d’accusation mettent à mal la ligne de défense du négociant genevois, qui a toujours prétendu être victime d’un employé félon ayant agi à son insu et à son détriment. Il est dit que les ententes corruptives comme les transactions étaient montées «en collaboration avec d’autres employés de Gunvor» et les paiements validés par le service financier. «L’employé a baigné dans une atmosphère de travail où la corruption aurait apparemment été un procédé d’affaires accepté», lit-on. Ces éléments ont conduit le MPC à mettre Gunvor en prévention pour «défaut d’organisation» en mai 2017. Ils pourraient mener à de nouvelles mises en prévention.
Notre enquête révélait que l’agent Maxime Gandzion, qui était «conseiller spécial du président» congolais, avait reçu des commissions de 10,5 millions de dollars à la banque Clariden Leu, à Genève, et que des versements avaient ensuite été faits vers une demi-douzaine de citoyens chinois. L’acte d’accusation confirme nos soupçons: in fine, une partie de ces paiements, soit 2,1 millions d’euros, «ont bénéficié à la famille présidentielle, particulièrement la Première Dame de la République du Congo, Antoinette Sassou Nguesso, et le Président Denis Sassou Nguesso». La justice conclut que les contrats signés entre le fils de Maxime Gandzion et Gunvor en 2010 et 2011 «ont essentiellement servi d’habillage juridique permettant de justifier le canal des paiements corruptifs».
L’acte d’accusation établit que Maxime Gandzion est un «agent public congolais», ce qui signifie que les paiements qu’il a reçus de Gunvor en Suisse pour son travail d’intermédiaire – soit 15 millions de dollars au total – sont en soi constitutifs d’une infraction de corruption (art. 322septies CP). Le procureur, suivi par le Tribunal, relève que le CEO de Gunvor Torjbörn Törnqvist avait été informé par courriel du fait qu’il faisait partie «du cercle de 5 personnes ayant un réel pouvoir de décision au Congo». Selon nos informations, en novembre 2015, Törnqvist a détaillé devant le procureur les prestations de Maxime Gandzion, expliquant que ce dernier avait l’oreille du président congolais, qui passait par lui pour «transmettre ses messages, ses attentes et ses espoirs» à Gunvor. Il reconnaissait avoir «approuvé» cet intermédiaire qui ne présentait, selon lui, pas de risque particulier («Red Flag»).
Face à ces faits, la justice suisse a la responsabilité de remonter la chaîne de commandement au sein de Gunvor. Cette affaire, emblématique du modèle d’affaires du secteur suisse des matières premières, appelle aussi une réponse politique. Elle montre que les arguments avancés par les sociétés de négoce pour s’opposer à toute régulation ne résistent pas à l’examen de leurs pratiques. Les autorités fédérales ne peuvent plus continuer à miser sur la bonne volonté des firmes, mais doivent réguler ce secteur à haut risque.
Plus d’informations sur les «aventures» de Gunvor au Congo ici ou auprès de:
- Géraldine Viret, responsable médias, 021 620 03 05, geraldine.viret@publiceye.ch
- Agathe Duparc, responsable enquête, 021 620 03 09, agathe.duparc@publiceye.ch