Transparence des paiements dans le secteur des matières premières : la proposition schizophrénique du Conseil fédéral
Lausanne/Berne, 25 juin 2014
Dans un rapport sur la transparence des paiements publié en réponse à un postulat de la Commission des affaires extérieures du Conseil national, le Conseil fédéral a reconnu explicitement les signes des temps. Il y relève à juste titre l’importante contribution de la place du négoce helvétique à la malédiction des ressources : « les structures étatiques des pays d’extraction sont souvent défaillantes. Les fonds versés aux gouvernements de ces pays […] peuvent s’évanouir pour des raisons de mauvaise gestion, de corruption ou d’évasion fiscale ou servir à financer un conflit. En conséquence, la population bénéficie peu des retombées économiques et reste victime de la pauvreté. On parle dans ce contexte de "malédiction des matières premières". » Le gouvernement reconnaît également l’utilité de la transparence des paiements effectués aux gouvernements, en particulier dans le négoce des matières premières, en relevant que « l’adoption de dispositions sur la transparence dans le négoce limiterait les risques pour la réputation de la Suisse dans ce domaine, où elle joue un rôle majeur au plan mondial ».
La proposition du Conseil fédéral de ce jour paraît cependant schizophrène. D’un côté, le gouvernement reconnaît les risques relatifs au négoce des matières premières, la responsabilité particulière de la Suisse comme principale place mondiale du négoce et l’utilité des règles relatives à la transparence des paiements. De l’autre, il décide finalement que les règles qu’il prévoit d’introduire « ne s’appliqueront pas aux activités de négoce dans un premier temps ».
La proposition gouvernementale est difficilement compréhensible. En excluant le négoce, elle consiste précisément à ne pas combler la lacune helvétique en matière de transparence dans le secteur mondial des matières premières. Elle se limite (pour l’instant) à des dispositions valables uniquement pour l’industrie extractive. Une telle réglementation est cependant superflue, puisque de tels flux financiers sont déjà couverts par les dispositions légales européennes ou américaines relatives à la transparence des paiements. Comme elles disposent de sociétés mères en Europe ou, plus rarement, parce qu’elles sont cotées aux USA, toutes les grosses sociétés suisses du secteur des matières premières doivent déjà se plier à ces règles de transparence pour ce qui a trait à leurs activités extractives.
Avec des dispositions légales ainsi limitées, la place helvétique du négoce des matières premières resterait un trou noir. A l’heure actuelle, 74 % du chiffre d’affaires mondial dans le négoce des matières premières est généré par onze sociétés. Toutes disposent d’activités importantes en Suisse ; 45 % du chiffre d’affaires mondial est même le fait de sociétés disposant en Suisse de leur siège principal ou juridique.
Le Conseil fédéral laisse une petite porte ouverte, qui permettra peut-être d’éviter le scandale que serait l’exclusion complète du négoce d’une telle régulation. Il annonce en effet vouloir encore « examiner [cette question] en détail » avant la procédure de consultation et propose de s’attribuer la compétence afin de pouvoir réagir rapidement et, au besoin, modifier les dispositions existantes.
Par leurs règles en matière de transparence des paiements, les USA, l’Europe et d’autres pays cherchent à créer une norme légale internationale du fait de laquelle chaque Dollar acquitté par une société du secteur des matières premières à un gouvernement serait publié. La Suisse a le devoir d’inclure le négoce dans ce contexte. Qu’un paiement effectué à un gouvernement résulte de l’achat d’une licence minière, de l’imposition d’une activité extractive ou de la vente d’une cargaison de pétrole ne fait aucune différence. Seule la transparence de l’ensemble de ces paiements permettrait à la population des Etats concernés de demander des comptes à leur gouvernement sur l’usage de la richesse générée par l’extraction et la vente des ressources naturelles. C’est à cette seule condition que la malédiction des matières premières pourra être endiguée.
Davantage d’informations ici (feuille d’information sur la transparence des paiements - en anglais) ou auprès de :
Marc Guéniat, Responsable enquête, 021 620 03 02, gueniat@ladb.ch
Lorenz Kummer, Expert matières premières, Swissaid, 031 350 53 51, l.kummer@swissaid.ch
COMMUNIQUE DE PRESSE de la Déclaration de Berne (DB) et de SWISSAID
Photo: (c) Meinrad Schade