Un pesticide produit en Suisse impliqué dans une vague d’intoxications en Inde
Zürich / Lausanne, 18 septembre 2018
En juillet dernier, Public Eye s’est rendue dans l’État du Maharashtra afin de rencontrer des survivants et des familles de victimes de la vague d’intoxications qui a secoué cette région du centre de l’Inde une année plus tôt. Les témoignages font froid dans le dos : des centaines d’agriculteurs ont dû être hospitalisés après avoir épandu différents pesticides en grande quantité. Bon nombre d’entre eux ont temporairement perdu la vue. Dans le seul district de Yavatmal, plus de vingt hommes sont décédés dans des conditions atroces, plus de cinquante au total dans la région de Vidarbha. Les survivants souffrent souvent de graves séquelles.
Parmi les principaux produits mis en cause par les autorités indiennes et les agriculteurs figure l’insecticide Polo. Derrière ce nom sympathique se cache le diafenthiuron, l’un des 40 pesticides de Syngenta classés comme « extrêmement dangereux » par le réseau international Pesticide Action Network. Selon l’Agence européenne des produits chimiques, le diafenthiuron est « toxique en cas d’inhalation » et peut « occasionner des lésions d’organes en cas d’exposition prolongée ou répétée ». Il est interdit en Suisse et dans l’Union européenne en raison de ses effets néfastes pour la santé et l’environnement. En octobre 2017, le ministre de l’Agriculture de l’État du Maharashtra a annoncé l’ouverture d’une enquête contre Syngenta pour « homicide volontaire ». Le géant bâlois a affirmé dans la presse indienne que son insecticide n’était pas responsable des intoxications.
Les documents auxquels Public Eye a pu avoir accès en vertu de la loi sur la transparence montrent que le diafenthiuron est produit à Monthey puis exporté vers des pays du Sud. En 2017, 126,5 tonnes ont été exportées depuis la Suisse, dont 75 tonnes vers l’Inde. « Exposer la population d’autres pays à des toxines dont il est avéré qu’elles provoquent de graves problèmes de santé et peuvent même entraîner la mort constitue une violation des droits de l’homme », ont dénoncé des Rapporteurs spéciaux de l’ONU dans un rapport au Conseil des droits de l’homme. Les autorités helvétiques doivent mettre un terme à cette politique des deux poids deux mesures, et « interdire l’exportation des pesticides interdits en Suisse en raison de leurs effets sur la santé de l’être humain ou sur l’environnement », comme le demande une motion déposée par la conseillère nationale Lisa Mazzone (Les Verts/GE). Co-signée par 41 parlementaires de tous bords politiques, elle devrait être débattue au plus tard en 2019.
En imposant aux sociétés domiciliées en Suisse un devoir de diligence en matière de droits humains et d’environnement, l’initiative pour des multinationales responsables permettrait aussi de prévenir de tels drames. Syngenta serait en effet tenue par la loi d’identifier les risques liés à ses pesticides dangereux et de prendre des mesures pour y remédier. À Yavatmal, une analyse sérieuse ne pourrait aboutir qu’à une seule conclusion : des produits aussi dangereux que le Polo ne peuvent pas être utilisés dans des conditions sûres. Vivant dans une grande précarité, les agriculteurs n’ont pas accès aux équipements de protection adéquats et ne sont pas suffisamment informés des dangers, comme le montre notre reportage. Les engagements pris par l’industrie sur une base purement volontaire ne sont pas respectés et ne permettent pas de protéger les utilisateurs. Dans un tel contexte, les pesticides très dangereux comme le Polo devraient être retirés du marché. De nouveaux cas d’intoxication ont eu lieu en 2018 dans l’État du Maharashtra.
Plus d’informations dans notre reportage ou auprès de :
Géraldine Viret, responsable médias, 021 620 03 05, geraldine.viret@publiceye.ch
Laurent Gaberell, responsable agriculture et biodiversité, 021 620 06 15, laurent.gaberell@publiceye.ch
Une sélection de photos d’Atul Loke (Panos Pictures) sont disponibles pour les médias.