COVID-19: les travailleuses du textile risquent leur vie
Lausanne/Zurich, 2 avril 2020
Au Myanmar, au Bangladesh, au Cambodge, en Inde, en Albanie et dans les pays d’Amérique centrale, d’innombrables usines textiles ont été contraintes de fermer leurs portes ou devront le faire d’ici peu. En cause, les goulets d’étranglements dans les livraisons de matières premières depuis la Chine, ainsi que les mesures prises pour protéger la santé publique. Mais surtout: une baisse des commandes et l’annulation irresponsable de celles déjà en cours par les multinationales de la mode.
Des milliards pour les marques, contre des vies mises en danger
Le modèle d'affaires de l’industrie textile mondialisée permet en temps normal aux géants de la mode de réaliser de juteux profits: en 2018, Inditex (Zara) a par exemple généré un chiffre d’affaires de plus de 26 milliards d'euros. Ces sociétés cherchent désormais à reporter les conséquences néfastes de la crise actuelle sur les travailleuses et travailleurs qui s’échinent à l’autre bout de leurs chaînes d’approvisionnement. En raison de la chute de la demande et de la fermeture des magasins de vêtements à travers le monde, les enseignes et les détaillants annulent ou reportent leurs commandes auprès des usines. Dans de nombreux cas, elles refusent même de payer les vêtements déjà fabriqués par leurs fournisseurs ou pour lesquels ceux-ci ont déjà acheté des matériaux.
Cela a pour conséquence la fermeture totale ou partielle de milliers d’usines dans les pays producteurs. Des millions d’ouvrières et ouvriers sont renvoyés à la maison, souvent sans toucher les paiements et indemnités prévus par la loi. Certaines usines refusent même de verser les salaires dus pour le mois de mars.
La crise aggrave des situations déjà précaires
Déjà en temps normal, les salaires minimaux prévus par la loi dans tous les pays producteurs sont insuffisants pour couvrir les besoins de base du personnel des usines, et ne permettent donc pas, a fortiori, de mettre de l’argent de côté pour les situations d’urgence ou de chômage. C’est pourquoi Public Eye demande depuis longtemps aux enseignes de la mode de verser un salaire vital à toutes les personnes employées sur leurs chaînes d’approvisionnement. Un tel salaire doit permettre de vivre dans des conditions dignes et de faire des économies pour faire face au manque de ressources en cas de maladie ou d’accident du travail. La plupart des ouvrières et ouvriers de l’industrie textile touchent aujourd’hui à peine de quoi survivre et se retrouvent sans protection en cas de chômage.
La situation actuelle est particulièrement grave au Cambodge, au Myanmar et en Inde. La Campagne Clean Clothes fait état de la fermeture temporaire de 10 % des usines de vêtements dans la région de Rangoun, au Myanmar, et les salaires n’ont pas été versés au personnel. En Inde, des millions de travailleuses et travailleurs migrants et journaliers sont frappés par les fermetures d’usines et le confinement, et doivent souvent parcourir des centaines de kilomètres – parfois à pied – pour retourner auprès de leur famille. Plus de vingt personnes ont déjà perdu la vie dans de telles circonstances. En raison de la crise du coronavirus, le personnel des usines, qui souffrait déjà d’une grande précarité, est désormais confronté à une question de survie.
Manque de mesures de sûreté dans les usines
Outre les fermetures d’usines, des informations inquiétantes proviennent de certains pays où les ouvrières et ouvriers sont forcés de continuer à travailler sans que les mesures de protection et d’hygiène adéquates n’aient été prises. Ces personnes et leur famille – et à travers elles toute la communauté – sont ainsi soumises à un grand risque de contagion.
Dans la quasi-totalité des usines de textile, les mesures sanitaires essentielles pour éviter la contagion ne sont pas respectées. Les machines à coudre sont tellement entassées qu’il n’y a même pas un mètre de séparation entre les couturières. On déplore en outre un grave manque de vêtements de protection, de gants, de masques et de désinfectant. Pour se rendre au travail, les travailleuses et travailleurs sont contraints de s’agglutiner dans les transports publics. Si le travail doit continuer dans ces usines, il est urgent de déployer les mesures de protection adéquates pour éviter la catastrophe.
La responsabilité des enseignes de la mode
Public Eye et la Campagne Clean Clothes appellent toutes les enseignes de la mode à assumer leur devoir de diligence raisonnable, immédiatement et de manière proactive, afin que les personnes qui fabriquent leurs articles soient protégées des conséquences désastreuses de la pandémie.
«Les enseignes de la mode profitent depuis des décennies de la main-d’œuvre bon marché. En ces temps de crise, ces marques doivent prendre des mesures supplémentaires et garantir les moyens de subsistance des travailleuses et travailleurs, qui doivent pouvoir rester à la maison.»
«Les marques doivent s’assurer que, pendant cette période, le personnel des usines perçoive la totalité de son salaire», demande Tola Moeun, directeur exécutif du Centre cambodgien pour l’alliance en faveur des droits du travail et humains (CENTRAL).
Les enseignes de la mode doivent assumer leurs responsabilités envers les personnes qui fabriquent leurs vêtements et garantir dès à présent:
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qu’elles continuent de percevoir leur salaire en cas de fermeture d’usines ou de maladie;
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que les mesures adéquates de sécurité soient prises, que des vêtements de protection soient fournis, qu’une distance suffisante puisse être respectée entre les membres du personnel, et qu’un transport sûr soit mis à disposition jusqu’aux usines si le travail continue.
La solidarité qui s’exprime aujourd’hui dans les pays riches doit dépasser les frontières et ne pas oublier les plus démunis. Dans le cas des travailleuses et travailleurs du textile, les gouvernements, mais aussi et surtout les enseignes de la mode, qui profitent depuis des décennies d’une main-d’œuvre bon marché, doivent prendre des mesures pour limiter les conséquences tragiques de la crise actuelle.
Plus d’informations sur le blog de la Campagne Clean Clothes ou auprès de:
- Géraldine Viret, responsable médias, +41 21 620 03 05, geraldine.viret@publiceye.ch
- Christie Miedema, Public Outreach, Campagne Clean Clothes, International Office, christie@cleanclothes.org