La bataille des pays émergents pour les licences obligatoires
20 septembre 2007
Si le prix des anciens traitements de première ligne a fortement chuté ces dernières années grâce à la concurrence des génériques, celui des traitements récents demeure plus élevé. C’est le cas des nouveaux traitements recommandés par l’OMS. Un récent rapport de Médecins sans frontières (MSF) révèle que leur prix le plus bas est quatre fois supérieur à celui des anciens traitements (385 dollars contre 99 dollars par patient et par année1). Le même rapport montre également des prix bien plus élevés pour les médicaments de deuxième ligne (les traitements destinés aux patients chez lesquels le virus a développé des résistances). En effet, le meilleur prix est de 926 dollars par patient et par année dans les pays les moins avancés (PMA, les cinquante pays les plus pauvres de la planète) et de 1426 dollars dans les pays à revenu intermédiaire.
Les brevets jouent ici un rôle central. Les médicaments plus récents sont souvent brevetés, ce qui empêche la production de médicaments génériques. Or, l’expérience montre que, plus le nombre de producteurs est élevé, plus forte est la concurrence, et plus les prix (y compris ceux des producteurs originaux) baissent. C’est de cette concurrence des génériques dont ont fortement bénéficié les anciens traitements de première ligne contre le VIH/sida.
L’enjeu des pays émergents
L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC (ADPIC) est directement responsable de cette situation. C’est dans le cadre de son adoption que de nombreux pays comme l’Inde, le Brésil, la Chine, la Thaïlande ont dû introduire des brevets sur les médicaments. Même si les PMA ont obtenu un délai jusqu’à 2016 pour introduire les brevets sur les médicaments, ils ne possèdent pas les capacités industrielles nécessaires à leur production. La bataille des génériques se joue donc dans les pays émergents qui disposent des industries capables de produire les médicaments génériques destinés à leur marché intérieur ou à l’exportation (Inde, Brésil, Chine, Thaïlande, Egypte, entres autres), et non pas dans les PMA.
Premières licences obligatoires
L’accord ADPIC de l’OMC prévoit la possibilité pour les Etats d’accorder des licences obligatoires, c’est-à-dire d’autoriser à produire ou à importer sur le territoire national des versions génériques d’un médicament breveté sans l’accord du détenteur du brevet. Comme le brevet reste en vigueur, son détenteur reçoit une compensation sur la valeur des génériques vendus. Longtemps théorique, cette solution commence à être utilisée.
En 2004, les Gouvernements de Malaisie et d’Indonésie ont chacun adopté des licences obligatoires pour l’utilisation publique non commerciale (soit uniquement pour le secteur public) de médicaments antirétroviraux. Plus récemment, deux autres pays émergents, la Thaïlande et le Brésil, ont franchi le pas. La Thaïlande a octroyé, en novembre 2006 et janvier 2007, des licences obligatoires pour l’utilisation publique non commerciale de deux antirétroviraux essentiels. C’est le prix trop élevé de ces médicaments qui a motivé la décision du gouvernement.En mai 2007, le Gouvernement brésilien a lui aussi octroyé une licence obligatoire sur l’efavirenz de MSD. Cette licence permet au Brésil de faire une réduction de 72% sur le prix du médicament le plus utilisé dans son programme de traitement universel gratuit du VIH/sida (75 000 personnes l’utilisent, soit 38 % du nombre total des personnes traitées par le programme). Il s’agit de la première licence obligatoire sur un médicament qu’octroie le Brésil. Cet emploi accru des licences obligatoires par les Etats augure le début d’une pratique plus courante.
Les pharmas et leurs alliés contre-attaquent
Ces licences obligatoires ne vont pas sans réactions ni rétorsion de la part des laboratoires pharmaceutiques. Les laboratoires Abbott ont annoncé en mars 2007 leur décision de suspendre l’homologation en Thaïlande de sept nouveaux médicaments brevetés (y compris la nouvelle version thermostable de l’antirétroviral ritonavir) en guise de protestation contre la licence obligatoire. A la demande de plusieurs associations de l’industrie pharmaceutique, la Thaïlande a été placée par le Département états-unien du commerce sur la liste des Etats susceptibles de sanctions commerciales ! L’Union européenne joue aussi sa partition. En juillet dernier, le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, a envoyé une note diplomatique à son homologue thaïlandais pour s’inquiéter du recours croissant aux licences obligatoires par la Thaïlande2.
La mobilisation de la société civile reste importante pour asseoir la pleine reconnaissance et l’usage des flexibilités de l’Accord ADPIC par les pays en développement, que ce soient les licences obliga oires ou d’autres éléments comme le montre la mobilisation autour de l’action en justice de Novartis en Inde. Les actions des pays émergents sont cruciales, non seulement pour leur propre population, mais également pour les autres pays en développement.
Notes
1) MSF, Untangling the web at price reductions, Genève, MSF, July 2007
2) Une campagne thaïlandaise et internationale de protestation et de boycott contre Abott a démarré. Il est possible de signer une pétition en ligne sur www.petitiononline.com/bcottabb/