24 heures: Le besoin de justice chevillé au cœur
22 décembre 2016
La mise en avant personnelle, la recherche de notoriété, très peu pour Pierrette Rohrbach. Alors, elle a hésité avant d’accepter la rencontre en vue de ce portrait. Le déclencheur? Pouvoir, peut-être, sensibiliser un lecteur, lui offrir quelque chose. Le souci d’autrui avant tout. Dans la vie de la Payernoise, deux mots se taillent une place à part: solidarité et équité. Une forme de mantra pour la présidente de Public Eye, ex-Déclaration de Berne.
Une enquête explosive
L’ONG luttant contre les injustices et pour le respect des droits humains a révélé cet automne le scandale du fuel à très haute teneur en soufre, livré à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. «L’enquête a duré des années, elle est unique, avec des retombées internationales inouïes.» Et elle a porté ses fruits, puisque les pays africains concernés ont revu leurs normes.
Lorsqu’elle raconte la livraison d’un conteneur d’air pollué devant les bureaux de Trafigura, société active dans le commerce de carburants, la militante affiche un sourire espiègle. «Ce genre d’affaires me fait grimper aux murs. Tant que je conserve cette capacité à m’indigner, je continue. Récemment, j’ai vu des fraises espagnoles dans un magasin Landi, ça me fait aussi sortir de mes gonds.»
Tant que je conserve ma capacité à m’indigner, je continue
La fille de paysans agit et parle avec son cœur, portant en elle les valeurs terriennes de son enfance, passée dans la petite localité broyarde de Martherenges. Pour tenir le foyer de quatre enfants, ses parents doivent se serrer la ceinture. Sa maman coud elle-même les habits, recycle, ne jette aucun aliment, surtout pas un bout de pain. Ce qui ne l’empêche pas d’ouvrir grande sa porte. «Elle était très croyante et pratiquante, elle invitait beaucoup, donnait une grande place aux autres. En 1956, lors de la Révolution hongroise, elle me disait chaque soir de prier pour ces gens.»
Agée de 8 ans, la petite Pierrette Dind entend la radio cracher les mauvaises nouvelles et souffre avec les réfugiés venus de l’Est. «Je me mettais à la place des enfants, je m’imaginais devoir tout quitter du jour au lendemain, et ça me faisait mal.» C’est la fin de l’insouciance, le début de la prise de conscience. La volonté d’être utile aux autres est née, elle se concrétisera dans une formation d’infirmière.
Le but: s'engager
La jeune femme se spécialise en médecine tropicale à Anvers, dans le but de s’engager dans les pays du Sud. Elle vise le Chili, le coup d’Etat stoppe son projet. La maladie de son grand-père bien-aimé la ramène finalement en Suisse. Elle ne mettra jamais les pieds en Amérique du Sud. Car, dans les couloirs de l’hôpital, elle rencontre son futur époux, infirmier. Un mariage, deux filles, sa vie prend un nouveau tournant. «Cela devenait difficile de jongler entre les enfants et le travail. On a calculé, on s’est dit qu’on pouvait s’en sortir avec un seul salaire. Ça me faisait un peu mal au ventre d’arrêter le boulot, la condition était donc que je puisse continuer à avoir une activité à côté.»
La jeune mère crée une ludothèque à Payerne, assume la présidence du groupe local d’Amnesty International, s’engage pour le tri des déchets et intègre le comité de la Fédération romande des consommateurs. Elle y passera quatorze ans. «Je suis très sensible à la transparence par rapport aux produits, aux conditions dans lesquelles les gens travaillent.» Après huit ans à la présidence, elle passe la main. «Quand elle a vu que j’avais démissionné, la présidente romande de Public Eye m’a appelée. Leurs actions me parlaient, j’ai accepté d’intégrer le comité en soulignant que je ne voulais plus assumer de présidence.» Raté. Les compétences de la Payernoise et le temps qu’elle accepte d’offrir bénévolement font une nouvelle fois mouche.
Blindée face aux critiques
Et la démangeaison est trop forte pour refuser, ne pas repartir au front. «Je suis une battante, je n’ai pas peur de m’exposer aux critiques.» Dans les rues broyardes, des gens la toisent parfois de travers. Les cours de français qu’elle donne aux adultes migrants, ses idées de gauche ne sont pas du goût de tout le monde. La bénévole n’en a cure. Elle n’a pas peur d’être à l’écart du troupeau. Bien au contraire, une certaine solitude lui est nécessaire.
Une fois par semaine, elle s’octroie «un jour blanc» pour filer à montagne. «C’est mon yoga, ma réserve d’énergie, c’est comme ça que je me ressource. Il y a trente-trois ans, j’ai eu un coup de cœur pour le val d’Anniviers, que j’ai connu grâce à la course Sierre-Zinal.» Leurs filles encore à la maison, tous les étés, les Rohrbach partaient pour Chandolin. Qui demeure le village fétiche de Pierrette, pas adepte de périples à l’autre bout du monde. «Je me nourris de musique, de cinéma, d’art, je suis des cours d’architecture et d’histoire à l’Université des seniors. Et je voyage au travers des autres. J’ai besoin de toujours rencontrer des gens, de discuter avec eux. C’est pour cela que je me réjouis de ce que je fais.»
Portrait de Pierrette Rohrbach publié dans 24 heures le 22 décembre 2016, par Laureline Duvillard.