Les médicaments génériques du Sud bientôt hors-la-loi?
14 avril 2009
Le commerce international des médicaments génériques est non seulement parfaitement légal, mais il est essentiel à la santé publique et au développement des pays du Sud. Cela n’a pas empêché les douanes néerlandaises de saisir plusieurs lots de médicaments génériques vitaux en provenance d’Inde et à destination d’autres pays du Sud, sous prétexte d’infraction aux brevets dans le pays de transit. Ces saisies violent l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et notamment la Déclaration de Doha de 2001, qui réaffirme le principe d’un accès aux médicaments pour tous. Ces textes stipulent que les marchandises en transit sont exemptées de l’application des droits de brevets. Les Gouvernements du Brésil et de l’Inde sont intervenus récemment à l’OMC pour exprimer leur vive préoccupation face à « un exemple de protectionnisme croissant » ainsi qu’une « mise en péril de la dimension santé publique de l’Accord ADPIC ». Interpellé récemment par un réseau d’ONG internationales, dont la DB fait partie, le directeur général de l’OMC a souligné l’importance et la sensibilité de l’affaire.
Faire passer des médicaments vitaux pour des produits mortels !
Ces saisies ont été effectuées sur la base d’un règlement de l’Union européenne (UE) conçu pour lutter contre les contrefaçons, et dont les entreprises détentrices de brevets abusent pour freiner le commerce international de produits du Sud. Un des lots saisi en décembre 2008 concernait un médicament contre l’hypertension artérielle qui n’était protégé par aucun brevet, ni dans le pays d’origine (Inde) ni dans celui de destination (Brésil). Alors qu’il aurait permis de traiter 300 000 patients durant un mois, il est resté bloqué en douane pendant trente-six jours, avant d’être renvoyé en Inde. Toujours aux Pays-Bas, un lot d’antirétroviraux génériques indiens destiné à un programme d’aide au Nigeria a été récemment confisqué. Il s’agissait de médicaments financés par la centrale d’achat internationale Unitaid qui étaient destinés à la lutte contre le VIH/sida. Ce médicament, l’abacavir, est utilisé en traitement de deuxième ligne lorsque les antirétroviraux classiques n’ont pas fonctionné. Sa prise doit être continue afin d’éviter l’apparition de résistances. Selon Unitaid, il permet de traiter 166 patients pendant trois mois. Le producteur indien de ce générique est un fournisseur régulier des programmes internationaux de lutte contre le VIH/sida. Les médicaments génériques du Sud deviendraient-ils hors-la-loi ?
La flexibilité des accords de l’OMC en péril
Depuis l’entrée en vigueur des Accords ADPIC de l’OMC, les gouvernements du Nord et les géants pharmaceutiques n’ont cessé de combattre les flexibilités dont disposent les pays du Sud pour faire valoir leurs priorités de santé publique, comme la possibilité d’importer ou de produire des versions génériques de médicaments brevetés sans l’accord de leur propriétaire. Cette intransigeance se manifeste par de multiples dépôts de brevets et des actions en justice intentées par les multinationales pharmaceutiques dans les pays du Sud. De plus, comme les négociations dans le cadre de l’OMC sont au point mort, les gouvernements des pays riches, la Suisse en tête, tentent d’étendre les droits de propriété intellectuelle en faveur de leurs entreprises, par des accords bilatéraux de libre-échange.
Ces affaires de saisie illustrent une tendance plus récente d’entrave au commerce international de génériques entre pays du Sud, en les faisant passer pour des produits contrefaits lors de leur transit dans les pays du Nord. La multiplication d’accords internationaux négociés hors du cadre onusien sur fond de lutte contre la fraude n’y est pas étrangère (lire ci-dessous). Selon un calendrier accéléré et à l’abri des regards, ces initiatives cherchent à imposer des normes de propriété intellectuelle encore plus drastiques, en élargissant le champ de définition des contrefaçons. Les pays en développement et la société civile sont littéralement exclus de ces négociations. Si les faux médicaments sont un problème réel de santé publique, toutes ces initiatives contribuent à fragiliser la distinction entre médicaments génériques légitimes, produits médicaux de moindre qualité et contrefaçons. C’est exactement le but visé par les partisans d’une protection intellectuelle renforcée, et ce que redoutent les pays en développement.
Patrick Durisch,
Déclaration de Berne
Cet article est tiré du Solidaire 203 (avril 2009)
Négociations sur la propriété intellectuelle menées hors du cadre onusien
• Le traité commercial anticontrefaçon initié à la fin de 2007 par des pays du Nord, dont la Suisse, vise à durcir de manière unilatérale les règles en matière de propriété intellectuelle sous prétexte de lutte contre la contrefaçon. Les pays en développement sont absents des négociations et ne seront « invités » à signer le traité qu’une fois ces règles établies. Ce texte a pour objectif de renforcer le contrôle et la criminalisation des consommateurs et des fournisseurs internet. Il soulève de vives préoccupations sur la protection des libertés individuelles et de la sphère privée.
• Le groupe de travail sur les normes Secure de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), sous prétexte de lutte contre la fraude, vise depuis ¬octobre 2007 à durcir les règles douanières en matière de propriété intellectuelle bien au-delà des Accords ADPIC (« OMC-plus-plus »). Ces négociations se déroulent à l’abri des regards, dans un panel moins exposé que les Nations Unies. Grâce à une forte mobilisation de pays du Sud, cette tentative pour imposer ces normes a pour l’instant échoué. Le groupe de travail a même été dissous en décembre 2008, mais il est question de créer un nouvel organe.