Licences obligatoires en Thaïlande : réponse inquiétante du Gouvernement suisse
11 août 2008
Entretemps, le Gouvernement thaïlandais de Samak Sundarajev, entré en fonction le 29 janvier 2008, a finalement cédé aux pressions de la Suisse, de l’Union européenne et des Etats-Unis. Il a décidé pour l’heure de ne pas octroyer de nouvelles licences obligatoires sur d’autres médicaments. De plus, plusieurs hauts fonctionnaires thaïlandais en charge de cette politique ont été déplacés ou démis de leurs fonctions. Comme le notait un diplomate suisse en poste à Bangkok dans un article du quotidien suisse le Temps le 23 mai 2008 : «notre message a passé ».
Seul signe positif, après une forte mobilisation de la société civile thaïlandaise, le ministre de la santé, Chaiya Sasomsap, a renoncé à abroger les licences obligatoires octroyées en janvier 2008 sur trois anticancéreux.
La réponse que nous avons reçue de Mme Leuthard est à l’image de la situation en Thaïlande : insatisfaisante.
Mme Leuthard prend position contre l’utilisation « systématique » des licences obligatoires.
Commentaire de la DB :
Ce cas de figure ne correspond pas à la réalité en Thaïlande : la Thaïlande n’a octroyé qu’un nombre restreint de licences obligatoires sur des médicaments, après une procédure d’examen et de négociation.
Mme Leuthard prône la négociation entre les entreprises pharmaceutiques et le Gouvernement thaïlandais.
Commentaire de la DB :
Mme Leuthard ignore que la Thaïlande n’a octroyé des licences obligatoires qu’après l’échec des négociations avec les entreprises pharmaceutiques (cf. Annexe 1). De plus, selon le droit international la Thaïlande ne serait pas obligée de négocier parce qu’elle octroie un type spécifique de licences obligatoires pour « l’utilisation publique non commerciale » (article 31(b) de l’Accord ADPIC) qui ne valent que pour les achats de médicaments par le secteur public.
Mme Leuthard confirme que la Suisse est partisane de restreindre l’utilisation des licences obligatoires à certaines circonstances d’urgence ou d’exception (comme les épidémies par exemple, mais pas l’accès aux traitements contre le cancer).
Commentaire de la DB :
Une telle interprétation est plus restrictive que le droit international. En agissant ainsi, la Suisse définit à la place des pays en développement quels problèmes de santé publique peuvent faire l’objet de licences obligatoires. Elle nie le problème que posent pour les malades et pour les systèmes de santé publique du Sud les prix élevés des médicaments brevetés, en particulier des médicaments contre le cancer. Par son attitude obstructive la Suisse contribue à détruire la politique exemplaire que mène la Thaïlande en matière d’accès aux soins et de couverture universelle d’assurance-santé. Les licences obligatoires sur les médicaments contre le VIH/sida ont par exemple permis de multiplier par trois le nombre de patients bénéficiaires.
Mme Leuthard justifie la position intransigeante de la Suisse en arguant que la politique de licences obligatoires en Thaïlande met eu cause le système des brevets et partant la recherche pour de nouveaux médicaments.
Commentaire de la DB :
Une telle vision simplificatrice est excessive et inexacte.
Elle surestime la part de la Thaïlande et des autres pays en développement dans le financement de la recherche des entreprises pharmaceutiques. Rappelons que plus de 85% des revenus des entreprises pharmaceutiques proviennent des ventes dans les pays industrialisés (Europe, Amérique du Nord, Japon). Seule une partie de ces revenus (entre 10% et 15%) sont dévolus à la recherche.
D’autre part elle passe sous silence les limites du système de brevets pour l’innovation pharmaceutique. En particulier les entreprises pharmaceutiques négligent la recherche sur les maladies qui touchent exclusivement les pays en développement car les populations touchées ne représentent pas un marché suffisamment rémunérateur. Ces limites ont été reconnues dans la récente stratégie mondiale sur la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle adoptée le 24 mai par les Etas membres de l’Organisation mondiale de la santé, y compris la Suisse.
Enfin elle omet de considérer que les brevets reposent sur l’équilibre entre le besoin d’incitation des innovations et l’intérêt public d’avoir accès à ces innovations. C’est parce que les médicaments visés étaient vendu à des prix excessifs qui les rendaient inaccessibles aux malades, que la Thaïlande a octroyé, après négociations, des licences obligatoires. Le revenu annuel moyen est de 2990.- US$ en Thaïlande. 25% de la population vit avec moins de 2 US$ par jour).
La DB estime que la politique de pression de la Suisse sur la Thaïlande est inadmissible.
Par cette politique, la Suisse défend les intérêts économiques de son industrie pharmaceutique au détriment des malades thaïlandais.