Lutte contre le sida: deux tiers des malades toujours sans traitement
17 novembre 2010
Selon l’OMS et l’ONUSIDA(1), à la fin de 2009, plus de 33 millions de personnes vivaient avec l’infection VIH dans le monde, et seul un tiers de celles qui en avaient besoin avaient accès à un traitement antirétroviral. Certes, les progrès sont notables par rapport au début des années 2000 – où l’accès aux traitements se limitait à quelques personnes. Dans les pays à faible revenu, ils étaient 5,25 millions à recevoir un traitement, soit une augmentation de 1,2 million par rapport à 2008. En passant de 3 à 4 millions de personnes traitées en un an, l’Afrique subsaharienne a connu la plus forte augmentation en nombre absolu. Ces progrès restent toutefois insuffisants dans la perspective de l’accès universel au traitement en 2010, tel que visé par les Objectifs du Millénaire pour le développement.
Le nerf de la guerre: le financement
Réunis au début d’octobre à New York, les pays donateurs au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme n’ont pas été aussi généreux qu’escompté. Sur les 20 milliards de dollars estimés comme nécessaires par le Fonds mondial pour les trois prochaines années, afin que tous les malades aient accès à un traitement, seuls 11,7 milliards ont été
promis. Un échec qui survient quelques semaines après le Sommet sur les Objectifs du Millénaire, où les pays riches ont souligné l’importance d’un
engagement fort en faveur de la santé! La Suisse brille de nouveau par son manque de générosité, en se contentant de maintenir le montant versé de 2008 à 2010, soit 21 millions de francs pour trois ans. Une somme ridicule de la part d’un pays aussi riche, une contribution sept fois moindre par
rapport au coût annuel par habitant que celle du Luxembourg, selon le Groupe sida Genève. Certes, ce fonds ne représente pas l’unique instrument
pour améliorer l’accès aux antirétroviraux, mais il a tout de même financé 2,5 millions de traitements en 2009 dans les pays du Sud. Un doublement des contributions au Fonds mondial aurait permis de porter ce nombre à 7,5 millions en 2013. Au-delà de l’argument de la crise économique mondiale, souvent mise en avant pour justifier la baisse des financements, les ONG y voient un signe inquiétant de lassitude des bailleurs de fonds internationaux face au VIH/sida, à l’heure où 10 millions de malades attendent encore urgemment un traitement.
Le rôle crucial des génériques indiens
Une étude récente(2) a, pour la première fois, quantifié le rôle de premier plan joué par l’industrie générique indienne dans l’approvisionnement des pays en développement en médicaments bon marché contre le VIH/sida. Ainsi, depuis 2006, plus de 80 % des antirétroviraux achetés par 115 pays pauvres, par le biais d’organismes internationaux, proviennent d’Inde, le reste se composant de médicaments originaux ou de génériques produits dans d’autres pays. Cette proportion dépasse même les 90 % pour les traitements destinés aux enfants. Autant dire que les pays les moins avancés dépendent de manière vitale de l’industrie générique indienne, dont les antirétroviraux coûtent nettement moins cher que les originaux. Cependant, depuis 2005, l’Inde a dû se conformer aux exigences de l’OMC en offrant la possibilité d’accorder des brevets pour des nouveaux
médicaments, une pratique inexistante jusqu’alors. Brevetés, les antirétroviraux de nouvelle génération peuvent ainsi s’affranchir de toute concurrence avec des génériques pendant une période d’au moins vingt ans. En outre, le peu de flexibilité laissé par les accords de l’OMC est mis à mal par les négociations d’accords bilatéraux de libre-échange en cours avec l’Inde. En effet, les pays du Nord – dont la Suisse – cherchent à imposer des normes encore plus drastiques en matière de propriété intellectuelle.
Les résistances augmentent, les prix aussi
Plusieurs générations de traitements antirétroviraux ont vu le jour au fil des ans. Dans les pays du Sud, on a aujourd’hui recours majoritairement à six combinaisons différentes d’antirétroviraux de première ligne, dont le prix médian par personne était, selon l’OMS, de 137 dollars par an en 2009. La combinaison la moins chère – mais aussi la plus toxique – diminuant à 67 dollars, un plancher jamais atteint auparavant grâce à la concurrence entre producteurs. Mais, lorsque les médicaments de première ligne deviennent
inefficaces en raison de l’augmentation des résistances au traitement ou qu’ils provoquent des effets secondaires trop importants, il faut recourir à d’autres combinaisons. Or, selon Médecins sans frontières(3), leur prix est au moins trois fois plus élevé pour les traitements de deuxième ligne et plus
de vingt-trois fois pour ceux de troisième ligne! En effet, ces médicaments, plus récents, sont pour la plupart protégés. Ils ne sont donc pas soumis à la
concurrence des génériques, le seul moyen de faire baisser les prix de manière significative et durable. L’émergence des résistances au traitement et la prolifération d’effets secondaires nécessitent de nouveaux médicaments, qui sont de plus en plus souvent brevetés et, par conséquent, de plus en plus cher, sur fond de crise de financement au niveau mondial. La boucle est bouclée. Les pauvres n’auront qu’à se contenter des cocktails de traitements les moins chers, même s’ils ne sont plus performants. En Suisse, une étude4 a montré que, entre 2003 et 2006,
moins de 1 % des patients ont initié leur traitement avec une combinaison comprenant de la stavudine, considérée comme particulièrement toxique. A la fin de 2009, plus de la moitié des malades sous traitement dans les pays pauvres l’utilisaient encore, parce que moins chère. Tout un symbole.
Patrick Durisch
(1) WHO, Unaids, Unicef, Towards Universal Access: Scaling Up Priority HIV/AIDS Interventions In The Health Sector, september 2010.
(2) Waning B. et al, A lifeline to treatment: the role of Indian generic manufacturers in supplying antiretroviral medicines to developing countries. Journal of the International AIDS Society 2010, 13:35.
(3) Médecins sans frontières, Untangling The Web of Antiretroviral Price Reductions, 13th Edition July 2010.
(4) Nguyen A. et al., Lipodystrophy and weight changes: data from the Swiss Hiv Cohort Study 2000-2006, HIV Medecine (2008), 9, 142-150.