Négociations agricoles, un marché de dupe ?
2 novembre 2005
Alors que les pays industrialisés subventionnent leurs produits agricoles (en contradiction avec les principes de l’OMC), les pays du Sud sont sommés d’ouvrir leurs marchés. Selon les estimations d’Oxfam, ces subventions coûtent 138 milliards de francs par an aux pays pauvres. Elles dévastent leur production locale, confrontée à l’importation de denrées à prix cassés.
En juillet 2004, lors de la réunion du Conseil général de l’OMC à Genève, les pays en développement obtenaient enfin des pays industrialisés la promesse qu’ils aboliraient ces subventions. Mais rien n’a encore été fait, pas même l’établissement d’un calendrier.
L’abolition de ces subventions est une exigence unanime des pays en développement. Mais le désaccord règne sur la diminution des droits de douane sur les produits agricoles, également négociée. Les pays émergents exportateurs (comme le Brésil ou l’Argentine) demandent leur suppression, mais beaucoup de pays du Sud ont d’abord besoin de protéger leurs petits producteurs locaux avant d’avoir accès à des marchés tiers. Or l’Accord sur l’agriculture est exclusivement axé sur l’exportation, ce qui contribue à péjorer les conditions de vie des petits paysans du monde entier.
L’exemple du Brésil est significatif.
Au détriment des petits producteurs
Le Brésil est devenu un membre puissant de l’OMC. Il est l’un des principaux exportateurs de soja, jus d’orange, café, tabac et bœuf, et aimerait consolider sa position sur le marché du coton, des volailles et du porc.
Le Gouvernement brésilien a axé son agriculture sur l’exportation afin de se procurer des devises pour le service de la dette. Mais le soutien financier à l’agriculture est surtout destiné à l’agrobusiness. Les petits paysans sont délaissés. Selon Romario Rossetto, membre du mouvement de petits paysans Movimento dos pequenos agricultores, les médias les décrivent comme arriérés et ne contribuant pas au développement du pays. Pourtant, ils produisent environ 70% des haricots, 84% du manioc, 58% de la viande de porc, 54% du lait etc. L’encouragement exclusif de l’exportation a cependant provoqué entre 1980 et 2002 une baisse de la culture d’aliments tels que le riz et le manioc (diminution d’un quart, respectivement d’un tiers). La sécurité alimentaire, surtout celle de la population pauvre, est ainsi mise en danger.
De plus, la possibilité de gagner sa vie en se consacrant à l’agriculture va en s’amenuisant. Les petites exploitations agricoles fournissent du travail à 14,4 millions de personnes, ce qui représente 86,6% des places de travail du secteur, alors que seulement 420 000 personnes (2,5% des emplois agricoles) travaillent dans les grandes propriétés. L’agriculture industrielle crée donc peu d’emplois et contribue à l’exode rural – s ans même mentionner ici les dégâts écologiques qu’elle provoque.
Et la Suisse?
Elle promeut une agriculture multifonctionnelle, qui tienne compte de l’environnement et des animaux. La Suisse protège ses fruits et légumes, en saison, par des droits de douane élevés et s’oppose aux pays exportateurs qui veulent une abolition étendue de ces taxes. La Déclaration de Berne soutient cette approche du Conseil fédéral, mais souhaite une agriculture suisse encore plus durable.
Les exemples suisse et brésilien montrent surtout que le débat sur l’agriculture n’est pas seulement un problème Nord-Sud. Ils posent aussi la question des modèles agricoles à promouvoir: une agriculture intensive et technologique axée sur l’exportation ou une agriculture multifonctionnelle qui garantisse la souveraineté et la sécurité alimentaires des populations ainsi que la biodiversité.