Nestlé sévèrement jugée pour ses activités en Colombie

Le 29 octobre 2005, MultiWatch organisait à Berne un examen public des activités de Nestlé en Colombie1. Devant un public de 200 personnes, des représentants du syndicat colombien de l’alimentation Sinaltrainal ont témoigné. Et un conseil de cinq personnalités, constituant une sorte de tribunal d’opinion2, a adopté une déclaration dont nous reproduisons ci-dessous de larges extraits.

«Dans ce pays, où l’on déplore 20 morts par jour pour des raisons politiques, les travailleurs, et tout particulièrement les syndicalistes, sont en butte à des menaces constantes, puisqu’on compte 4000 assassinats de syndicalistes depuis 1987, des milliers de disparitions, 1700 cas de violation des droits humains de syndicalistes depuis l’arrivée au pouvoir du président Alvaro Uribe en 2002. Et 60% de personnes vivent dans la pauvreté. Il a été relevé que les garanties juridiques pour la protection des droits des travailleurs sont inexistantes. Les groupes paramilitaires sont nombreux aux abords des grandes entreprises multinationales, et la violence est omniprésente, dans un climat de menaces, d’affrontement et de peurs. Dans ce contexte, les syndicats sont présentés comme des organisations proches de la guérilla, voire du terrorisme (…).
»Présente en Colombie depuis soixante ans, Nestlé n’a fait qu’étendre son empire en développant une situation de quasi-monopole. (…) Ce qui caractérise et explique la position dominante de Nestlé, c’est aussi sa capacité à tirer profit de la situation politique extrêmement troublée du pays. Actuellement, l’Etat de Colombie semble vouloir se mettre totalement au service de l’économie en général et de Nestlé en particulier. De nombreux exemples ont été apportés concernant divers domaines dans lesquels Nestlé a bénéficié d’avantages substantiels, tels que la fiscalité ou les subventions. (…)

ASSASSINATS ET DISPARITIONS
«Les témoins présentent les 10 cas de travailleurs assassinés par des présumés paramilitaires entre 1986 et 2005, généralement des leaders syndicaux. Ces attentats se sont généralement passés lors de périodes de tension et de conflits dans les entreprises de Nestlé, à des moments de remise en cause des conventions collectives de travail et, pour certains, à la veille d’une grève. Si la responsabilité de Nestlé n’est pas directement en cause, il n’en demeure pas moins que les méthodes d’intimidation et de chantage utilisées sont indirectement en cause. Refusant d’augmenter le prix payé aux propriétaires terriens pour leurs livraisons de lait, Nestlé a invoqué l’excuse des hausses de salaires revendiquées par les travailleurs (…).
»Si Nestlé se dit très préoccupée par ces violences, elle n’en a pas pour autant réagi avec toute la vigueur qu’on aurait pu attendre (…). Considérant que c’est un fléau auquel elle ne peut rien, elle n’a rien entrepris ni pour faire condamner les coupables ni pour protéger ses employés. (…)

LICENCIEMENTS ET POLITIQUE ANTISYNDICALE
«Au début de l’année 2002, la convention collective doit être renouvelée dans l’usine de Cicolac, mais les négociations avec les représentants des travailleurs n’aboutissent pas, car Nestlé souhaite un démantèlement des acquis sur les salaires et sur les services médicaux. Alors qu’une grève a été votée, des menaces de mort font reculer les leaders syndicaux, qui retirent leur préavis de grève. Après diverses péripéties (…), neuf représentants du syndicat sont licenciés. Au printemps 2003, un tribunal arbitral donne raison a Nestlé sur la base d’une décision prise en l’absence du représentant des travailleurs. Dans cette affaire, le droit n’a pas été respecté, ni les lois du pays ni les conventions internationales (…).
»En automne 2003, (…) Nestlé a convoqué l’ensemble des salariés dans des réunions séparées avec des représentants de la direction générale pour leur proposer de renoncer volontairement à leur emploi en échange d’indemnités financières. Ces travailleurs ont été pratiquement séquestrés dans des hôtels jusqu’à ce qu’ils donnent leur accord. C’est ainsi que 175 ouvriers ont perdu leur emploi. (…) A la place de ces employés réguliers, Nestlé a engagé des travailleurs intérimaires payés la moitié du tarif normal sans protection sociale et sans aucun droit syndical. (…)

PRODUITS PÉRIMÉS ET POLLUTIONS
«Entre septembre et décembre 2002, à plusieurs reprises, des stocks de lait périmés ont été découverts, que Nestlé avait importés d’Uruguay et d’Argentine, et qu’elle s’employait à conditionner dans de nouveaux emballages, après avoir changé les étiquettes indiquant la date de péremption. Dans son document, Nestlé prétend qu’il s’agissait d’une erreur d’étiquetage, alors qu’elle a dû admettre que le lait était bel et bien périmé et impropre à la consommation. (…)
»Ce sont des ouvriers qui ont découvert les faits et qui ont averti la direction de l’entreprise. Constatant que celle-ci ne voulait rien entendre, dénonciation fut faite aux autorités, qui ont fait saisir la marchandise. Hélas, des représailles ont été exercées sur ces employés, aujourd’hui harcelés.

CONCLUSIONS
«Au terme des auditions, impressionné par ce qu’il a entendu et par le sérieux et la crédibilité des preuves apportées, le conseil

  • ne peut que condamner les pratiques de Nestlé en Colombie. Il estime qu’elles ne sont pas acceptables de la part d’une multinationale qui se réclame de sa bonne réputation et de la confiance que ses clients lui témoignent. Par ses manquements à la qualité des produits ou à la protection de l’environnement, par sa politique de démantèlement des conditions de travail et d’hostilité implacable à l’égard des syndicats ou encore par ses méthodes agressives en matière de politique économique, Nestlé dépasse les limites du tolérable;
  • estime que des démarches doivent être entreprises, en Suisse et sur le plan international, pour obliger Nestlé à respecter les droits syndicaux prévus par les conventions internationales et la Constitution colombienne, le cas échéant en saisissant les tribunaux ordinaires; [...]
  • souhaite également que les autorités suisses soient saisies de ce dossier, invitent Nestlé à réorienter sa politique en Colombie et pratiquent de manière plus cohérente la conditionnalité des relations économiques extérieures de la Suisse en fonction du respect des droits humains, et ceci tout particulièrement avec le Gouvernement de Colombie.»

Notes
1) MultiWatch est une association suisse constituée d’ONG (dont la Déclaration de Berne), de syndicats, d’œuvres d’entraide, de partis politiques, de groupes liés aux Eglises et de mouvements altermondialistes.
2) Ce conseil était composé de Carlo Sommaruga (conseiller national), Anne- Catherine Menétrey-Savary (conseillère nationale), Rudolf Schaller (avocat), Carola Meier- Seethaler (philosophe et éthicienne) et Dom Tomás Balduino (évêque émérite de Goías, président de la commission pastorale de la terre de la Conférence des évêques du Brésil).


L’ATTITUDE DE NESTLÉ
Comme l’a relevé le conseil dans sa déclaration, Nestlé avait été invitée à participer à l’audition, mais elle a décliné l’invitation. La multinationale avait néanmoins fait parvenir un document succinct. Avant même la session, Nestlé a accusé les intervenants de faire preuve de partialité et de lancer des accusations «hystériques».
Le conseil a déploré «ce refus d’entrer en matière sur les revendications des travailleurs de Nestlé Colombie, car il considère que la multinationale suisse doit assumer sa responsabilité quel que soit le lieu de son implantation dans le monde». Il a toutefois pris acte des arguments avancés par Nestlé.

Pour en savoir plus:
Le texte complet de la déclaration du conseil, les textes des intervenants de l’audience et des ateliers sont disponibles sur www.multiwatch.ch