Réponse décevante du Conseil fédéral à la campagne "Se soigner®: un droit pour tous, aussi dans les pays pauvres!"
11 novembre 2003
Vous avez été plusieurs milliers à ce jour à envoyer au Conseil fédéral une carte postale "Se soigner®: un droit pour tous, aussi dans les pays pauvres" pour demander que la Suisse s'engage résolument pour la réalisation du droit à la santé dans les pays en développement, notamment en facilitant l'accès aux médicaments. Nos revendications couvrent trois champs d'action.
- 1) Que la Suisse cesse de défendre aveuglément une protection maximale des brevets dans les pays pauvres, que ce soit à l'OMC ou dans ses relations commerciales bilatérales, et qu'elle accepte que les pays en développement puissent profiter de la concurrence des médicaments génériques pour obtenir des médicaments essentiels et vitaux bon marché.
- 2) Que la Suisse s'engage davantage pour renforcer les systèmes et infrastructures de santé dans les pays pauvres.
- 3) Que la Suisse fasse davantage de recherche sur les maladies affectant principalement les pays du Sud. Tout cela implique que la Suisse et en particulier les offices concernés de l'administration fédérale (Direction du Développement et de la Coopération (DDC), Secrétariat d'Etat à l'économie (seco), Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI), Office fédéral de la santé publique (OFSP) ) mènent une politique cohérente qui facilite le droit à la santé et l'accès aux médicaments pour tous.
Par courrier du 8 juillet 2003 (téléchargeable ci-dessous en format .pdf), le Conseil fédéral nous a répondu, sous la plume de Micheline Calmy-Rey, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères. Le Conseil fédéral a rappellé son attachement au principe de cohérence et son engagement à réaliser les Objectifs de développement pour le millénaire de l'ONU, dont un objectif est, d'ici 2015, de stopper la propagation du VIH/sida, du paludisme et des autres grandes maladies, et de les réduire. Pourtant le Conseil fédéral ne se donne pas les moyens pour réaliser ses engagements ambitieux. Sur les détails concrets, il s'est contenté de promouvoir et défendre les politiques suivies actuellement par les différents offices de l'administration.
En matière de propriété intellectuelle, le Conseil fédéral n'a pris aucun engagement à modifier sa politique à l'OMC et dans ses relations commerciales bilatérales pour donner la priorité à la protection de la santé publique sur la protection des brevets.
Parlant des négociations en cours à l'OMC, il déclare dans sa lettre du 8 juillet: "[La Suisse] ne revient aucunement sur ses engagements pris à Doha et ne cherche pas à restreindre la solution à quelques maladies puisqu'elle est d'avis que, conformément au paragraphe 1 de la déclaration de Doha, le VIH/sida, la tuberculose, la malaria et d'autres épidémies de dimension analogue devraient être visées par la solution", une position confirmée dans le communiqué de presse du 1er septembre après le compromis qui stipule que la solution trouvée concerne "les cas de santé publique lourds comme le SIDA, la malaria et la tuberculose"(1) Pourtant cette interprétation restrictive de la Déclaration de Doha sur l'Accord ADPIC et la santé publique a toujours été refusée par les pays en développement car elle exclut les maladies non-transmissibles tels que l'asthme et le diabète par exemple, et pose une obligation d'ampleur pour les épidémie abbérante en terme de santé publique (faut-il par exemple attendre qu'une épidémie de méningite ait atteint des proportions catastrophiques avant d'agir ?)
Aucun changement non plus dans la politique commerciale bilatérale de la Suisse. Le 19 septembre, le secrétariat d'Etat à l'économie s'est félicité de la conclusion de l'accord de commerce AELE(2) – Chili qui prévoit un niveau de protection de la propriété intellectuelle "dépassant les standards de l'Accord ADPIC", notamment pour les médicaments(3). Cet accord, qui sera soumis au Parlement en décembre 2003, est l'exemple même de législations inutilement sévères imposées par des pays du Nord à des pays du Sud. En l'espèce la Suisse est directement responsable puisque c'est elle qui tient au sein de l'AELE le dossier "propriété intellectuelle" parce que son industrie pharmaceutique est la principale intéressée (et bénéficiaire).
En matière de politique de santé, le Conseil fédéral ne prévoit aucun engagement financier supplémentaire pour renforcer les infrastructures de santé dans les pays en développement. Il ne fait que réitérer son objectif de consacrer 0,4% du PNB à l'aide au développement en général d'ici 2010. Rappelons que our 2002 et 2003 réunies, la Suisse n'a versé que 10 millions au Fond global contre le sida, le paludisme et la tuberculose, une des contribution les plus faibles parmi les pays industrialisés. D'où le paradoxe: alors que la Suisse refuse d'allouer des ressources supplémentaires pour le renforcement des infrastructures de santé dans les pays en développement, elle ne cesse d'avancer l'argument du manque d'infrastructures dans ces pays pour relativiser le rôle des brevets sur l'accès aux médicaments.
Le récent discours du président de la Confédération, Pascal Couchepin, lors de la session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'ONU sur le VIH/sida le 22 septembre 2003, est symptomatique de cet écart entre des objectifs affichés généreux et des politiques concrètes insuffisantes ou contradictoires.
Aspect positif, la Suisse a reconnu le lien "inséparable" entre la prévention et le traitement du sida: "La mise à disposition de médicaments et de traitements est une condition indispensable à la prévention du sida dans les pays en développement." Pourtant la Suisse n'a proposé aucun engagement financier supplémentaire de sa part pour le traitement du sida dans les pays en développement. De même il n'a pas mentionné le rôle de la concurrence des génériques pour faciliter l'accès aux médicaments dans les pays pauvres, alors même que c'est le moyen le plus efficace pour obtenir des médicaments abordables. Il s'est contenté de saluer le mauvais compromis à l'OMC du 30 août.
En l'état actuel, la politique de la Suisse reste problématique. C'est pourquoi, nous appelons à continuer à interpeller le Conseil fédéral en envoyant des cartes postales de la campagne "Se soigner®: un droit pour tous".
Notes :
(1)Communiqué de presse du secrétariat d'Etat à l'économie du 1er septembre 2003.
(2) Association Européenne de Libre Echange réunissant la Suisse, la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein.
(3) Communiqué de presse et 'fact sheet' du secrétariat d'Etat à l'économie du 19 septembre 2003.