Réponse du Conseiller fédéral M. Pascal Couchepin du 22 mai 2001
22 mai 2001
Monsieur,
Cest avec un grand intérêt que j’ai lu votre courrier du 12 avril 2001 concernant la priorité à donner aux droits de l’homme sur le droit des brevets et demandant que la Suisse adopte une position claire en la matière. Je tiens donc à vous remercier pour l'initiative que vous avez prise et pour l’engagement dont vous faites preuve.
Le Conseil fédéral partage votre inquiétude face à la forte propagation du sida dans les pays en développement. Il est décidé à faire des efforts en collaboration avec les autres pays industrialisés pour contrer les effets de l’épidémie dans les pays en développement, il soutient ainsi la résolution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de mai 2000, favorable à la réduction du prix des médicaments traitant le sida dans les pays en développement.
Une telle démarche montre que le Conseil fédéral est conscient du problème que pose le prix élevé de ces médicaments dans les pays en développement, problème qui, selon lui, peut notamment être résolu par un abaissement de ce prix. Toutefois, cette question ne relève pas du droit de la propriété intellectuelle, mais du droit de la concurrence. Il convient également de s’assurer que cela ne donnera pas lieu à des importations parallèles de ces médicaments en provenance des pays en développement vers les pays industrialisés en particulier. Les fabricants de médicaments auront moins d’intérêt à investir dans la recherche de nouveaux médicaments contre le sida s’ils ne peuvent plus en amortir le coût très élevé. Il faut en outre considérer le fait que le problème ne sera pas réglé par une simple réduction du prix des médicaments, sachant que ces derniers ne permettent pas de guérir de la maladie, mais seulement d'en ralentir le processus. La prévention du sida par les pays en développement concernés joue alors un rôle décisif en permettant d’éviter de nouvelles infections. Il importe enfin que les pays concernés puissent disposer d’un système de santé efficace qui garantisse constamment l’accès à ces médicaments.
Quant à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), permettez-moi de rappeler que, selon cet accord, le titulaire d’un brevet dispose pendant un certain temps de droits exclusifs comme le droit de protection contre des tiers. L’article 31 de l’accord prévoit toutefois une exception permettant à un membre de l’OMC d’utiliser un brevet sans autorisation du titulaire sous certaines conditions (licence obligatoire). Cette licence obligatoire peut notamment être accordée dans des situations d’urgence sanitaire.
Dans votre courrier, vous demandez au Conseil fédéral de prendre position en faveur de certaines modifications de l’Accord sur les ADPIC et notamment de l’abrogation de l’art. 31, let. f, qui prévoit qu’un produit fabriqué sous licence obligatoire est principalement destiné au marché domestique du membre de l’OMC concerné. Si cette disposition est abrogée, le produit fabriqué dans ces conditions pourra être vendu dans le monde entier en quantités illimitées. Le produit fabriqué par le titulaire du brevet ne pourra pas, quant à lui, supporter une telle concurrence car son prix devra rester élevé afin de couvrir le coût de la recherche et du développement. Transposé au domaine des médicaments, cela signifie que les fabricants de médicaments n’auront plus aucun intérêt à développer des produits risquant de faire l’objet d’une licence obligatoire. Tout le monde y perdra alors. Par ailleurs l'art. 31, let. f de l’Accord sur les ADPIC a été introduit pour prendre en compte les intérêts des petits pays membres de l'OMC, parmi lesquels figurent la plupart des pays en développement. Étant donné la petite taille de leur marché domestique, ces pays n’ont pas de débouchés suffisants pour couvrir les coûts de fabrication et de commercialisation de tels produits. Il faut donc leur permettre d’exporter sous certaines conditions une partie de leur production.
Permettez-moi également d’ajouter que l’Accord sur les ADPIC donne suffisamment de marge de manoeuvre aux membres de l'OMC pour prendre les mesures qui s’imposent dans les situations d’urgence sanitaire. Les pays en développement qui doivent faire face à l’épidémie de sida ne doivent pas hésiter à déclarer publiquement leur situation d’urgence afin de pouvoir profIter de cette marge de manoeuvre.
Une protection raisonnable des droits de propriété intellectuelle est donc nécessaire au développement de nouveaux médicaments, en particulier dans le cas de maladies aussi dangereuses que le sida. L’ONU elle-même reconnaît l’importance de cette protection, comme l’a réaffirmé son Secrétaire général Kofi Annan en avril dernier à Amsterdam. C’est dans ce sens que la Suisse s’engage et participe activement au débat international sur la recherche de solutions au problème du sida.
Veuillez croire, Monsieur, en l’assurance de ma haute considération.
Département fédéral de l'économie
Pascal Couchepin
Conseiller fédéral