Et encore une fuite de données – une occasion à saisir pour les banques
Britta Delmas, 23 novembre 2023
Le 14 novembre 2023, le réseau de journalistes d’investigation ICIJ a publié son analyse de plus de 3,6 millions de documents de six sociétés de conseil financier chypriotes. Ceux-ci contenaient principalement des informations sur des oligarques russes et leurs avoirs, la plupart datant d’avant l’invasion de l’Ukraine. Et, une fois n’est pas coutume, des institutions financières suisses étaient de la partie.
Tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime
Cette fuite de données s’inscrit dans une longue série de «leaks» et de «papers», de Panama à Suisse Secrets en passant par Paradise.
Chacune de ces révélations a mis au jour certains comportements clairement répréhensibles: dans la dernière en date, il s’agit du contournement des sanctions contre la Russie. D’autres cas sont scandaleux pour des raisons sociétales: à l’image d’un journaliste qui aurait été payé par des oligarques.
On peut se demander comment ont réagi les ayants droit économiques des sociétés en question en voyant leur nom révélé au grand jour: quand il est devenu de notoriété publique, par exemple, qu’un violoncelliste ami de Vladimir Poutine est multimillionnaire ou qu’un oligarque a transféré son entreprise à sa femme juste avant d’être sanctionné.
Enfin, il y a la vaste majorité des cas, dans lesquels toutes les personnes impliquées ont certes respecté la loi, mais dont le comportement pose des questions d’ordre éthique. Est-il légitime que des conseillers et conseillères aident des entreprises ou des grosses fortunes à monter des structures d’entreprise complexes pour échapper à l’impôt?
Et pourquoi retrouve-t-on presque toujours les mêmes acteurs suisses dans ces manigances?
Redorer l’image de la place financière
Pour Hans-Peter Portmann, conseiller national PLR et vice-président de l’Association zurichoise des banques, la réponse est claire: «Je recommande à chaque banque de créer une commission d’éthique. Mais une banque a la liberté de faire ses propres choix économiques et on ne peut pas lui reprocher de ne pas appliquer ses propres normes éthiques au-delà de la réglementation.»
Il est vrai qu’on peut difficilement contraindre quiconque à penser et agir de façon éthique. Cependant, le grand public a bien conscience que tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime. Un comportement scandaleux est néfaste pour la réputation, ce qui peut aussi avoir des conséquences financières. La FINMA exige donc depuis des années que les établissements financiers limitent non seulement leurs risques juridiques, mais aussi leurs risques de réputation.
Se demander en toute conscience si une activité pourrait nuire à sa propre réputation fait donc partie intégrante des mesures de précaution, indépendamment des listes de sanctions.
Une bonne réputation est quelque chose qui se soigne.
Il est de la responsabilité de tous les acteurs de préserver et d'améliorer l’image de la place financière de sorte qu’à l’avenir, les scandales révélés soient considérés par l’opinion publique suisse et internationale comme des exceptions et non comme la confirmation d’une mauvaise réputation.
Pour en arriver là, la place financière ne doit pas se contenter de respecter les règles minimales imposées par la loi, mais elle doit aussi lutter activement et de manière novatrice contre le blanchiment d’argent.
Transformer un problème en opportunité
Une approche novatrice consisterait à s’appuyer sur les recommandations d’organismes internationaux tels que le GAFI, et de les mettre en œuvre de manière optimale plutôt que minimaliste. Les acteurs de la place financière – banques, assurances, autorités, avocat·e·s, conseillers et conseillères – devraient chercher à définir ensemble comment prévenir encore mieux et plus efficacement le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le contournement des sanctions; que ce soit dans le cadre de la législation existante ou sur la base de nouvelles lois.
Une telle démarche peut prendre la forme d’un échange d’informations entre banques sur des client·e·s problématiques, d’une information plus rapide de la part de la FINMA sur les meilleures pratiques et les nouveaux schémas identifiés, de l’identification collective des cas problématiques, de l’application transfrontalière des sanctions aux filiales juridiquement indépendantes à l’étranger, de restrictions concernant les cas scandaleux d’«optimisation fiscale», etc. La responsabilité devrait reposer sur la direction du groupe, qui donne la tonalité du code de conduite («tone from the top») et détermine ainsi la pondération des objectifs économiques, écologiques et éthiques.
Une telle approche novatrice de la prévention du blanchiment d’argent devrait également inclure des aspects éthiques et les risques de réputation qui en découlent. Il y aura probablement encore des fuites de données à l’avenir – en sachant qu’il s’agit en général de documents anciens, voire très anciens –, mais elles seront ainsi de moins en moins néfastes pour la réputation de la Suisse.
«Pour y voir clair, il suffit souvent de changer la direction de son regard.» (Antoine de Saint-Exupéry)
Britta Delmas travaille depuis septembre 2023 dans le département Matières premières et Finance de Public Eye. Auparavant, elle a travaillé pendant 25 ans comme juriste pour et auprès de banques suisses et de la FINMA.
Contact: britta.delmas@publiceye.ch
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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