Mick Jagger tire la langue à Shein
Oliver Classen, 8 décembre 2022
«Votre recherche "Rolling Stones" ne correspond à aucun résultat», nous informe le site web de Shein. Jusqu’à fin novembre, on pouvait y trouver toute une collection d’articles et accessoires de mode à l’effigie des légendes britanniques du rock. Selon le magazine Fortune (États-Unis), un t-shirt arborant la célébrissime langue des Stones coûtait 5,39 dollars, un sac pour téléphone portable 1,80 dollar et un bonnet 6 dollars. Ces produits, ainsi que 57 autres articles bon marché, ont été mis en vente à l’occasion du soixantième anniversaire du groupe, puis retirés du jour au lendemain de la boutique internationale de Shein.
Motif: le quotidien britannique «i» a confronté le management des Stones avec un documentaire réalisé en collaboration avec la chaîne de télévision publique Channel 4. Journées de travail de 18 heures et salaires de misère chez les fournisseurs de Shein: le documentaire faisait écho aux abus révélés par Public Eye un an plus tôt, qui ont provoqué une déferlante médiatique internationale.
C’est aussi le journal «i» qui a dévoilé la résiliation spectaculaire du contrat de licence entre Shein et Universal, le label et distributeur exclusif des produits «Rolling Stones». Puis la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre (du Washington Times jusqu’au 20 minutes suisse alémanique). «The Rolling Stones show no sympathy for Shein», titrait notamment un important média professionnel du secteur de la mode, en référence à l’une des chansons les plus célèbres du groupe.
Les critiques ne portaient plus seulement sur les conditions de production scandaleuses de Shein, mais aussi sur le management et l’agence de merchandising des Stones. Car s’ils ont agi en réaction aux sollicitations du journal, ils auraient pu – et même dû – être au courant des graves abus perpétrés sur la chaîne d’approvisionnement de Shein «que l’ONG Public Eye avait révélés plusieurs mois auparavant».
C’est donc bien Public Eye qui a posé la première pierre à l’édifice du mouvement anti-Shein.
Mais toutes les vedettes internationales n’ont pas la chance d’avoir un entourage si alerte et réactif. Quand, il y a quatre ans, Public Eye a demandé à Roger Federer de faire pression sur son sponsor Uniqlo pour qu’il verse aux travailleuses et travailleurs qui fabriquaient ses vêtements en Indonésie les six millions de francs qu’il leur devait, le management du tennisman n’a pas réagi.
Les 10 000 messages de fans préoccupés et le fort écho médiatique autour de cette action n’auront pas suscité la moindre réaction de Roger ou de son équipe de communication. Personne n’aurait attendu tant d’indifférence de la part du Bâlois, pourtant reconnu mondialement pour son intégrité.
Comment se fait-il que les «Bad Boys» du rock’n’roll se soucient davantage de l’éthique que le gendre idéal du sport d’élite? Federer ne voudrait-il vraiment pas mettre un bon coup droit là où Jagger n’a pas hésité à frapper fort? Ou le jeune retraité devrait-il seulement songer à changer de management? Son contrat publicitaire de 30 millions de dollars par an le lie toujours à Uniqlo, même s’il a raccroché sa raquette, jusqu’en 2028. Et les couturières indonésiennes attendent toujours le dédommagement qui leur est dû.
Alors Roger, «just do it» – comme le dirait ton ancien sponsor!
«Porte-parole, "spin doctor" et rédacteur, je sais que la vérité est une valeur approchée, et non une question de point de vue. C’est ce qui fait et ce que montre un bon journalisme.»
Oliver Classen est porte-parole de Public Eye depuis plus de dix ans. Il a contribué à notre ouvrage de référence sur le secteur suisse des matières premières et a coordonné plusieurs éditions des Public Eye Awards, le contre-sommet critique au Forum économique mondial. Il a travaillé comme journaliste pour différents journaux, dont le Handelszeitung et le Tagesanzeiger.
Contact: oliver.classen@publiceye.ch
Twitter: @Oliver_Classen
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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