Une holding hongroise au paradis des matières premières
Andreas Missbach, 9 octobre 2019
C’est dans un article intitulé «The Energy Weapon», publié par un groupe de réflexion états-unien et portant sur des atteintes à la démocratie dans la Russie de Poutine, que nous sommes tombés sur le nom de cette société. MET a été fondée en 2007 par la direction du groupe pétrolier et gazier MOL, entité semi-étatique hongroise. Zoug abrite sa division négoce international depuis 2010, ainsi que la holding depuis 2012. Aujourd’hui, MET se présente comme une «entreprise européenne domiciliée en Suisse».
MOL a longtemps été le principal actionnaire du groupe. A ses côtés, à travers les habituelles sociétés-écrans chypriotes, le PDG hongrois Benjamin Lakatos, deux oligarques hongrois et un russe. Lakatos a débuté chez MOL en 2001, à l’âge de 24 ans. L’un des deux oligarques hongrois est propriétaire d’un club de football, dont l’un des plus fervents supporters n’est autre que Viktor Orbán, qui aime se montrer dans les tribunes du stade pour soigner son réseau. Depuis 2011, l’oligarque officierait régulièrement comme «représentant spécial» du Premier ministre – un cas emblématique de «personne exposée politiquement» (PEP).
De 2011 à 2015, le groupe MET était lié par un juteux contrat à une filiale de la société étatique hongroise d’électricité MVM, à qui le gouvernement avait accordé un monopole de facto pour l’utilisation du pipeline entre l’Autriche et la Hongrie. Or au lieu de profiter de sa situation de monopole pour acheter directement du gaz sur le marché européen au comptant, c'est avec MET qu'un accord a été conclu.
Ce gaz coûtait nettement moins cher que celui que Gazprom livrait en Hongrie sur la base de contrats de longue durée, mais était vendu au même prix. Rien qu’en 2012, ce deal aurait rapporté dans les 200 millions de francs aux propriétaires de MET. Outre MVM, Gazprom figurait aussi parmi les grands perdants de cette affaire puisque le gaz vendu sur le marché européen au comptant provient en grande partie du géant russe.
Et Orbán dans tout ça?
Reste à savoir pourquoi une entreprise étatique hongroise et la compagnie qui extrait et distribue le gaz russe semblent se tirer une balle dans le pied en se privant de revenus considérables. La réponse la plus probable, même si aucune preuve ne permet (pour l’instant) de l’affirmer: l’entourage proche d’Orbán, voire Orbán lui-même, ont profité de l’obligeance de la société étatique. Et le Gazprom de Poutine a affuté son «arme énergétique» pour viser directement Orbán, en menaçant de fermer les lucratives vannes du gaz russe ou de dévoiler toute l’affaire.
Quoi qu'il en soit, l’année dernière, Lakatos s’est distancié de ses acolytes douteux. Selon le site web du groupe MET, l’entreprise appartient aujourd’hui «à 100% à ses employés». Ou plus précisément (comme c’est la coutume chez les traders): elle appartient majoritairement à Lakatos et à ses principaux managers.
Après la diversification, pour ne pas dépendre uniquement du marché hongrois, et l’acclimatation politique en tant qu’«entreprise européenne», l’heure était venue de s’adonner au travail de relations publiques. Enfin, à la petite semaine tout du moins: un article en lien dans la rubrique «Médias» témoigne d’une franchise rarissime… et assurément involontaire.
La Suisse lave plus blanc
C’est à un portail financier hongrois qu’ont été expliquées, à cœur ouvert, les raisons ayant poussé le groupe à choisir la Suisse pour installer son siège: «Les avantages fiscaux ont joué un rôle important lorsque nous avons opté pour la Suisse, et en particulier pour Zoug, comme siège social de la société». Et encore mieux plus bas: «Selon les cadres de l’entreprise, il est nettement plus facile pour une entreprises domiciliée en Suisse d’obtenir des financements à grande échelle, et une entreprise basée en Suisse est également davantage prise au sérieux par l’industrie.» Autrement dit:
En Suisse, les sociétés étrangères trouvent tous les ingrédients pour laver plus que blanc !
Par ailleurs, en ce qui concerne les salaires, la transparence est totale: «Les meilleurs traders touchent ici d’excellents salaires, empochant 10 à 20% des bénéfices qu’ils génèrent. Dans certains cas extrêmes, ils gagnent même plus que les hauts dirigeants de l’entreprise». Interrogé par le Luzerner Zeitung, le directeur financier se montrait beaucoup plus modeste: «Chez nous, personne ne roule en Ferrari». C’est vrai, après tout, les traders peuvent bien se rabattre sur des Lamborghini, Bugatti ou Aston Martin...
«Ceux qui vont bien iront mieux, si ceux qui vont moins bien vont mieux» – Mani Matter
Membre de la direction de Public Eye, Andreas Missbach travaille depuis 2001 sur les banques, les négociants en matières premières et la responsabilité des sociétés dans le respect des droits humains. Pas de quoi s'ennuyer car la matière ne manque pas, malheureusement.
Contact: andreas.missbach@publiceye.ch
Twitter: @ahmissbach
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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