La dissimulation: principal ressort des affaires de blanchiment et de corruption
En 2011, la Banque mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) ont publié, dans le cadre de l’Initiative StAR (Stolen Asset Recovery Initiative), un rapport sur l’identification des ayants droit économiques. Les ayants droit économiques sont définis comme les personnes physiques qui sont les bénéficiaires effectifs des fonds déposés pour une relation bancaire donnée. Cette étude analysait 150 affaires relevant de la grande corruption internationale. Dans 128 cas, des sociétés avaient été utilisées pour dissimuler les avoirs provenant de la corruption. Selon le rapport: «La majorité des dossiers de grande corruption ont en commun le fait qu’ils s’appuient sur des structures juridiques comme les sociétés, les fondations ou les trusts, pour dissimuler la propriété et le contrôle de l’argent sale».
Plusieurs types de mécanismes de dissimulation sont fréquemment utilisés dans les grandes affaires de corruption, parmi lesquels:
- Les sociétés boîtes aux lettres: il s’agit d’une société écran créée dans le but d’opacifier les transactions financières d’autres sociétés en rajoutant une étape dans le cheminement de l’argent sale.
- Les hommes de paille ou prête-noms: une personne qui agit au nom d’une autre et «prête son nom» aux structures et documents officiels d’une société. L’homme de paille se retrouve par exemple actionnaire ou administrateur d’une société, en lieu et place du bénéficiaire réel des fonds.
- Les faux documents: qu’il s’agisse de factures ou de contrats, de tels documents sont fréquemment utilisés pour dissimuler les fonds destinés à être blanchis.
GPF SA: une société genevoise impliquée dans un réseau de blanchiment de drogue
Le 10 octobre 2012, après sept mois d’enquête, la police française a interpelé dix-sept personnes. Parmi elles, un gérant de fortune soupçonné de mener un vaste trafic de cannabis entre le Maroc et la France. Pas moins de 100 millions d’euros auraient été blanchis. Le gérant travaillait pour GPF SA, une société genevoise qui gérait environ 800 millions de dollars US d’avoirs non déclarés, selon l’accusation du Tribunal correctionnel de Paris. Si une partie du trafic de drogue a bénéficié à des hommes d’affaires marocains désireux d’échapper au contrôle des changes dans leur pays, il a également permis à certains clients de GPF SA, qui voulaient sortir leur argent de Suisse et le récupérer en cash en France. L’opération était organisée par GPF SA, qui prélevait 10 à 15% de la somme ainsi récupérée en commission et frais de change.
En 2012, l’ancienne juge d’instruction Eva Joly réagissait à cette affaire: «C'est rare d'avoir un dossier illustrant aussi parfaitement ce que je dis depuis 20 ans: on trouve les mêmes intermédiaires en matière de blanchiment, d'abus de biens, de corruption et de drogue».
En Suisse, l’enquête menée par quatre magistrats genevois, dont le premier procureur Yves Bertossa, a montré que 350 trusts avaient été utilisés. Ceux-ci étaient essentiellement basés au Panama et avaient pour la plupart été créés par le cabinet Mossack Fonseca. «Notre métier consistait à donner une apparence de légalité à des fonds dont nous connaissions l’origine illégale», a expliqué une ancienne employée de GPF.
En 2018, une quarantaine de personnes ont été jugées par le tribunal correctionnel de Paris dans cette affaire baptisée «Virus» par les enquêteurs. En octobre 2019, deux des prévenus ont été condamnés pour blanchiment d’argent par la justice française. Quant à la société GPF, elle a été dissoute en mars 2013.