L'affaire Petrobras Les méthodes douteuses des négociants suisses au Brésil

Véritable séisme politique et judiciaire, l’affaire Lava Jato éclabousse depuis quatre ans la place financière suisse, des dizaines de banques ayant accueilli des pots-de-vin. Notre enquête révèle que les négociants suisses ont aussi baigné dans ce scandale en versant des millions de commissions à des intermédiaires douteux. En toile de fond : des contrats pétroliers valant des milliards de dollars, signés dans un contexte où la corruption a été érigée en « règle du jeu ».

«Un problème brésilien, non suisse»

Doris Leuthard n’a pas hésité. Le gigantesque scandale de corruption au Brésil, connu sous le nom de code de l’opération policière Lava Jato (lavage express), déclenchée en 2014, ne remet pas en cause le dispositif anti-blanchiment suisse. « Nos mécanismes de contrôle sont parmi les plus solides », assurait-elle en septembre 2017, en tant que présidente de la Confédération. Sa conclusion était catégorique : « Il s’agit d’un problème brésilien, non suisse ».

Certes, la compagnie pétrolière semi-publique Petrobras, au cœur de Lava Jato, est brésilienne. Mais la conseillère fédérale omet un peu vite quelques détails. En Suisse, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert plus de 100 procédures pénales et fait bloquer 1,1 milliard de dollars, dont 20 % a déjà été restitué à Brasilia. Plus de 1000 comptes auprès de 43 banques sont concernés, selon le décompte du spécialiste de la criminalité économique Gotham City.

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Cet argent est essentiellement composé de commissions, prélevées sur des contrats surfacturés passés entre Petrobras et des entreprises privées. Elles étaient versées par des intermédiaires douteux et des blanchisseurs d’argent professionnels, appelés « doleiros », sur des comptes offshore appartenant à des cadres corrompus de Petrobras ainsi qu’à des politiciens finançant à la fois leurs campagnes électorales et leur train de vie fastueux. Pour entretenir ce système, ces politiciens nommaient les bonnes personnes aux postes clés de ce géant étatique. L’ensemble constituait « la règle du jeu » d’un « grand schéma criminel », comme l’a synthétisé le juge Sérgio Moro, véritable figure de proue de Lava Jato.

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Le juge brésilien Sérgio Moro est la figure de proue de Lava Jato.

La responsabilité de la Suisse dans la corruption systémique au sein de Petrobras ne se limite pas au secteur bancaire, comme le révèle une enquête menée conjointement par Public Eye et Global Witness. Les trois plus grandes sociétés de négoce de pétrole au monde, toutes domiciliées entre Genève et Zoug, intéressent la justice brésilienne. Cumulant un chiffre d’affaires de 438 milliards de dollars en 2017, Vitol, Glencore et Trafigura ont conclu de juteux contrats pétroliers avec le géant sud-américain. Des millions de dollars de commissions ont été versés, parfois à des intermédiaires au profil douteux.

Pour quelques centimes de plus

Le négoce de pétrole avec Petrobras a-t-il contribué, avec le concours de sociétés suisses, aux détournements de fonds massifs ? Des témoins clés de l’affaire Lava Jato l’ont indiqué à la justice. En passant aux aveux, un homme politique de premier plan, Delcídio do Amaral, a affirmé que « de petites variations dans les prix du pétrole représentent de grands gains pour les opérateurs principaux, créant ainsi un terrain fertile pour différentes pratiques illégales, puisque les prix peuvent être modifiés artificiellement ». L’ancien directeur international de Petrobras, Nestor Cuñat Cerveró, l’a confirmé devant les procureurs :

 Quelques centimes gagnés sur le négoce au quotidien peuvent dégager des millions de pots-de-vin à la fin du mois.

Les quelque 300 000 à 400 000 barils de diesel importés chaque jour pour couvrir la consommation domestique étaient essentiellement confiés à des sociétés de négoce. « Glencore et Trafigura étaient les plus importantes », se souvient Cerveró, qui a pu réduire sa condamnation en collaborant avec la justice.

  • © Meinrad Schade
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Siège de Glencore à Baar (à gauche), succursales de Trafigura à Genève et à Lucerne (à droite).

Un directeur courtisé

Toujours selon Delcídio do Amaral, le poste le « plus convoité au sein de Petrobras était celui de directeur de l’approvisionnement », parce qu’il contrôlait les importations de pétrole brut et de carburants. Plusieurs d’entre ceux qui ont chapeauté ce commerce entre 2004 et 2015 ont été condamnés pour corruption.

À la baguette durant huit ans, Paulo Roberto Costa était un personnage central – il a été condamné. C’est en perquisitionnant son domicile dans un quartier chic de Rio de Janeiro, le 17 mars 2014, qu’une petite enquête menée à Curitiba se mue en séisme national, puis en une colossale affaire dont les ramifications s’étendent dans au moins 42 pays. Confrontée à de fortes résistances politiques, la justice brésilienne décide de publier les actes réalisés dans le cadre de Lava Jato. Cette démarche inédite permet de détailler le rôle des trois négociants.

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En mars 2014, la perquisition menée au domicile de Paulo Roberto Costa, l’ancien directeur de Petrobas, a déclenché une gigantesque affaire de corruption aux ramifications internationales.

La police investigue les contrats faramineux des négociants

L’étau se resserre à partir du 29 août 2016. L’agent de la police fédérale de Curitiba, Erika Mialik Marena, rendue mondialement célèbre par la série Netflix « O Mecanismo », ouvre une enquête sur plusieurs individus en lien avec des paiements effectués par Glencore et Trafigura. Afin de conclure des contrats pétroliers avantageux, ces personnes sont suspectées d’avoir « en leur qualité d’opérateurs ou de fonctionnaires de Petrobras (…) joué les intermédiaires et reçu des avantages indus de la part des multinationales précitées », au moins « entre 2004 et 2012 ».

Selon le procureur Deltan Dallagnol, « ces enquêtes suivent leur cours. On peut les comparer à la maturation des fruits d’un arbre. Chaque fruit doit être cueilli une fois mûr. » En juillet, le média brésilien Globo révèle que la police fédérale a exigé que Petrobras fournisse le détail des contrats conclus entre 2004 et 2018 avec Trafigura, Glencore, Vitol et Cockett Marine Oil Ltd, une société dont Vitol détient 50 % du capital.

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L’agent de la police fédérale Erika Mialik Marena a ouvert une enquête liées aux activités de Glencore et de Trafigura en août 2016.

D’après les documents judiciaires, les volumes commercialisés étaient très importants. Les quelque 1048 contrats conclus entre 2003 et 2015 par Trafigura avec Petrobras s’élèvent à 8,8 milliards de dollars. Les prestations de Vitol atteignent, elles, 12,16 milliards de dollars entre 2004 et 2015. On ne connaît pas la valeur des transactions réalisées par Glencore. Cette dernière affirme qu’elle n’entretenait pas « de relation commerciale substantielle avec Petrobras », sans plus de précision.

Glencore et la « Greek connexion »

En revanche, la justice brésilienne a détecté des commissions versées par une filiale de Glencore, Ocean Connect Marine : au moins 2,1 millions de dollars entre novembre 2010 et février 2014. Cette somme a été remise en plusieurs petits transferts sur un compte UBS au Luxembourg, ouvert au nom d’une société des Îles Marshall, Seaview Shipbroking Ltd.

Cette société appartient au Consul honoraire de Grèce à Rio de Janeiro et à son fils, Konstantinos et Georgios Kotronakis. Efficaces, ces deux apporteurs d’affaires ont décroché auprès de Petrobras des contrats pour presque un milliard de dollars pour des armateurs grecs, contre des commissions versées à Costa et à son gendre, Humberto Sampaio de Mesquita, qui administrait une partie de la fortune illicite de son beau-père. Mesquita a reconnu ses torts, mais est décédé avant d’être jugé.

La justice brésilienne affirme que les Kotronakis ont versé au moins 900 000 dollars de pots-de-vin à la famille de Paulo Roberto Costa.

Une partie de ces fonds a été localisée sur un compte que le gendre de Costa détenait auprès de Lombard Odier, à Genève. Dans l’une de ses nombreuses dépositions, Costa a reconnu avoir transmis des informations confidentielles aux Kotronakis. Accusé de corruption en août 2017, le Consul avait déjà quitté le pays, selon un document judiciaire.

C’est donc la destination finale de l’argent versé par Glencore aux Kotronakis qui interpelle. Le ministère public fédéral brésilien a déclaré en mai 2017 que « la probabilité est élevée que ces fonds aient été utilisés, au moins en partie, dans le but de corrompre Paulo Roberto Costa et d’autres ». Pour sa part, le géant suisse soutient que nos documents ne fournissent pas « la preuve qu’une entité affiliée à Glencore ait sciemment procédé à des paiements corruptifs, directement ou indirectement. » Il ajoute que Seaview Shipbroking Ltd a opéré, dans le cadre de plus de 600 transactions, comme agent (« broker ») approuvé par Petrobras, fournissant un service légitime.

Les enquêteurs brésiliens ont mis la main sur un autre document qui évoque, avec la mention « Trading Glencore », un petit paiement de moins de 10 000 dollars sur un compte du gendre de Costa hébergé, là encore, par UBS au Luxembourg. Glencore dit n’avoir pas retrouvé la trace de ce paiement. Selon les aveux de Costa, ce virement constitue « certainement » un pot-de-vin, même s’il ne se souvient pas à quel titre.

Enquête sur les contrats de Trafigura

C’est sur le même compte auprès de Lombard Odier que Mariano Marcondes Ferraz, qui était à la fois le « M. Brésil » et « M. Angola » de Trafigura, a versé 868 450 dollars entre 2011 et 2014. Ce qui lui a valu d’être condamné en mars 2018 pour corruption. Toutefois, cette sanction ne concerne pas les activités du négociant suisse avec Petrobras, mais celles d’une petite firme italienne, Decal, dont Ferraz était également le représentant au Brésil. Grâce à ces paiements, Decal do Brasil a pu renouveler la location d’un entrepôt pétrolier à Porto de Suape, dans le nord-est du pays.

Trafigura se distancie de l’affaire en indiquant qu’elle n’était pas partie aux contrats liant Decal do Brasil à Petrobras. De plus, elle a démis Ferraz de ses fonctions de directeur en octobre 2016. Mais selon une source bien renseignée, il en serait toujours salarié. La firme genevoise n’a pas souhaité répondre sur ce point.

Les paiements effectués par Ferraz étaient-ils uniquement liés aux activités de Decal ?

Durant la procédure, la confusion entre ses deux casquettes a été constante ; des témongnages ainsi que certaines pièces ont entretenu le doute. Costa lui-même, qui a entraîné Ferraz dans sa chute, a nourri l’amalgame. Au final, la justice brésilienne a tranché, blanchissant de fait Trafigura.

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Mariano Marcondes Ferraz, l’homme de Trafigura au Brésil, a été condamné pour corruption, mais dans le cadre d‘activités menées pour la société Decal.

Mais le répit pourrait n’être que temporaire. En Suisse, le MPC confirme que son enquête sur Ferraz est en cours, tandis que cet été, Petrobras a invoqué « l’enquête de la police fédérale » pour nous refuser des informations détaillées sur ses contrats passés avec Trafigura.

Lenteur helvétique chez Lombard Odier

L’affaire Ferraz illustre aussi la façon dont les banques appliquent la loi sur le blanchiment d’argent. À intervalle régulier, le trader a versé des dizaines de milliers de dollars au gendre de Costa, sans que Lombard Odier ne sourcille. À l’ouverture du compte, la banque n’a pas jugé que son client devait faire l’objet d’une procédure approfondie réservée aux personnes politiquement exposées (PEP), ni que cette relation d’affaires présentait des risques accrus.

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Le compte détenu par le gendre de Paulo Roberto Costa auprès de Lombard Odier a hébergé quantité de commissions illicites. La banque a réagi deux mois après l’éclatement du scandale.

Selon les documents qu’elle a transmis à la justice, Lombard Odier commence à se poser des questions en avril 2014, lorsque l’affaire fait les gros titres au Brésil. Ferraz se rend alors à la banque, en tant que « membre du conseil de Trafigura », pour rassurer le gestionnaire. Il certifie que le titulaire du compte n’a « aucun lien avec l’ex-directeur de Petrobras ». Le trader ajoute que « Trafigura travaille peu avec le Brésil », quand bien même son employeur a signé des contrats valant près de 9 milliards de dollars.

Contactée, Lombard Odier n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais précise avoir « dûment informé » le Bureau fédéral de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) en juin 2014 - plus de deux mois après l’arrestation spectaculaire de Costa. La banque déclare qu’elle « ne fait pas l’objet d’une enquête dans le cadre de ce dossier et a respecté ses obligations légales ».

L'« agent » suspect de Vitol

A notre connaissance, Vitol n’est pas formellement sous enquête. Mais la justice brésilienne aurait demandé à Petrobras les contrats passés avec la firme suisse. Surtout, notre enquête montre que directement ou à travers une société dont il détient 50 % du capital, le numéro un mondial du commerce de pétrole a rémunéré deux individus au profil suspect. Tous deux sont inquiétés par la justice.

© Karl de Keyzer/Magnum

Le premier se nomme Bo Hans Vilhelm Ljungberg. Ce Suédois résidant à Rio de Janeiro est depuis longtemps en affaire avec Vitol. Durant les années 1990, cette dernière rachète la société suisse Euromin, fondée par Ljungberg et d’autres. La relation a perduré.

Sollicitée par Global Witness et Public Eye, la firme a admis que « M. Ljungberg a agi en tant qu’agent pour Vitol », puis a précisé l’avoir payé à travers « une société dont il était le propriétaire à 100 %, Encom Trading SA » afin qu’il « identifie des opportunités commerciales dans le secteur pétrolier au Brésil ». Vitol affirme avoir suivi « ses procédures de diligence habituelles » tant sur Ljungberg que sur Encom avant de procéder aux paiements. « Ces contacts n’étaient pas inappropriés », conclut la firme.

Ces précautions n’enlèvent rien au fait qu’Encom et Ljungberg sont mêlés à Lava Jato. Le 15 août 2018, le Ministère public fédéral brésilien a inculpé dix individus, dont Ljungberg, pour corruption, blanchiment et association de malfaiteurs. Formant une sorte de cartel, baptisé « Brasil Trade » par la justice, ils sont notamment mis en cause dans le cadre de contrats d’asphalte obtenus de Petrobras par la société américaine Sargeant Marine entre 2010 et 2012 (incidemment, Vitol est entrée au capital de Sargeant Marine en 2016, à hauteur de 50 %, formant la société Valt).

Les secrets d’une messagerie électronique

Selon la justice brésilienne, « Brasil Trade » est un réseau organisé « afin de commettre des crimes au détriment de Petrobras, notamment la corruption ». Ses membres communiquaient à travers une adresse électronique à laquelle ils avaient accès, oxfortdgt@gmail.com, et dans laquelle ils enregistraient uniquement des brouillons de courriels, afin de limiter les risques d’interception. Peine perdue : alors que la police perquisitionne en juillet 2015 le domicile d’un amiral à la retraite, elle découvre une clé USB contenant une série de documents, dont des brouillons enregistrés sur oxfordgt@gmail.com.

© Ueslei Marcelino/Reuters
Le cartel « Brasil Trade » a joué un rôle important dans le scandale Petrobras.

Effarante découverte, qui révèle que le nom de Vitol est abondamment cité dans les discussions autour de projets de contrats et de rencontres avec certains de ses dirigeants. Entre 2010 et 2012, les membres de « Brasil Trade » débattent sans filtre de la meilleure façon de conclure des contrats avec Petrobras. Dans l’une des correspondances, le 7 mai 2010, Ljungberg félicite son compère Bruno Luz pour avoir obtenu des informations confidentielles. Luz, qui a déjà été condamné, tout comme son père Jorge, surnommé par la presse le « doyen de la corruption », répond alors qu’il s’agit du fruit d’un effort collectif. Mais ce sont bien les Luz qui perçoivent et répartissent les commissions sur les contrats obtenus par Sargeant Marine.

Ce cas permet de comprendre le fonctionnement de « Brasil Trade ». Ses membres se sont servis de leurs contacts politiques et au sein de Petrobras pour soutirer des informations confidentielles ; en les « vendant », ils ont permis à Sargeant Marine de proposer le meilleur prix afin de remporter le marché. Les commissions générées ont ensuite été partagées arithmétiquement entre eux-mêmes (40 %), des politiciens de haut rang (40 %), comme le leader du Parti des travailleurs à la Chambre des députés, Cândido Vaccarezza, et des cadres de Petrobras (20 %), surtout l’incontournable Paulo Roberto Costa. Ce dernier a perçu quelque 280'000 dollars, toujours sur le compte détenu par son gendre auprès de Lombard Odier.

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Co-propriétaire d’Encom au moment des faits avec Carlos Herz, un autre membre de « Brasil Trade », Ljungberg a aussi touché sa commission versée par Luz, sur un compte ouvert auprès de l’antenne suisse de BNP Paribas – lui nie avoir touché une commission de Sargeant Marine. En clair, Vitol a rémunéré son agent via une société que la justice brésilienne présume être partie intégrante d’un schéma corruptif. Un autre membre de « Brasil Trade », Luiz Eduardo Loureiro Andrade, qui a également perçu une juteuse commission liée à Sargeant Marine, a été l’agent de Glencore dans le cadre d’un achat de fioul en 2011 – Glencore le reconnaît mais dit n’avoir trouvé aucune information suggérant qu’elle a fait affaires avec « Brasil Trade ». Trafigura a aussi été en négociation avec des membres de « Brasil Trade », à savoir les Luz, mais la firme précise qu’ils n’ont finalement pas été embauchés, sans expliquer pourquoi.

Pour sa part, Vitol déclare que le « recours aux agents est commun au sein de l’industrie » et se dit persuadée que « ses activités avec M. Ljungberg, Encom Trading SA et Petrobras sont complètement conformes à la législation ». De plus, la firme dit ne pas connaître l’existence « Brasil Trade » et n’avoir pas interagi sciemment avec ce groupe.

Il faut souligner que Vitol, Trafigura et Glencore ont interagi avec certains membres de « Brasil Trade » avant que les soupçons de la justice n’émergent sur leur compte.

Coquets paiements

Dans le deuxième cas où son nom apparaît, l’implication de Vitol semble moins évidente. Le négociant a traité indirectement avec un « doleiro » accusé dans l’opération Lava Jato d’avoir transmis des commissions à Paulo Roberto Costa pour le compte du géant des travaux publics, Odebrecht. Il s’agit de Nelson Martins Ribeiro, « un professionnel du blanchiment d’argent », d’après la Police Fédérale brésilienne. Selon les documents judicaires, Ribeiro a véhiculé au moins 190 millions de dollars sur différents comptes, via trois sociétés offshore établies dans les îles Caïmans.

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La société Cockett Marine Oil Ltd, dont Vitol possède 50% du capital depuis juillet 2012, a payé 1,3 millions de dollars à un «doleiro», qualifié de « professionnel du blanchiment» par la justice.

Deux de ces boîtes aux lettres ont touché 8,1 millions de dollars de Cockett Marine Oil Ltd entre février 2009 et novembre 2012. Or, à partir du 1er juillet 2012, Vitol possède 50 % de cette société spécialisée dans le combustible de soute. Ce qui lui fait endosser une part de responsabilité dans le montant de 1,3 million de dollars de commissions payées à Ribeiro après son entrée au capital. Vitol déclare avoir effectué une vérification « appropriée » avant d’acquérir cette participation, tout en disant n’avoir pas eu connaissance de ces paiements à ce moment-là. La firme ajoute qu’elle n’exerce pas de contrôle sur Cockett. Fait curieux : Vitol reconnaît que Cockett a rémunéré des sociétés affiliées à Ribeiro, mais nomme des entités distinctes de celles qui figurent dans les documents judiciaires brésiliens, sans pouvoir expliquer cette différence. La firme déclare enfin que Ribeiro n’a pas été rémunéré en tant qu’agent.

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S’il n’a pas été condamné et réfute les accusations dont il fait l’objet, Ribeiro a versé au moins cinq millions de dollars à Paulo Roberto Costa, via deux comptes détenus en Suisse auprès de HSBC et de PKB.

De l’aveu même de Costa, la totalité des quelque 23 millions de dollars qu’il a dissimulés en Suisse était d’origine illicite.

Vitol et Cockett Marine estiment avoir pleinement collaboré avec la justice en 2015, lorsque Ribeiro est accusé de blanchiment d’argent et placé en détention provisoire. À défaut d’une accusation formelle, elles considèrent que « l’affaire est close ». Toutefois, la justice s’intéresse à leurs contrats avec Petrobras, tandis que le cas Ribeiro n’est pas classé au Brésil. Mais à ce stade, rien ne permet d’affirmer qu’il existe un lien entre ces paiements et les contrats obtenus par Vitol au Brésil.

Un désastre au Brésil et des questions en Suisse

Au total, les pertes financières causées par les détournements de fonds au sein de Petrobras sont estimées à environ 10 milliards de dollars entre le début des années 2000 et le déclenchement de l’opération en 2014. Sur le plan social, économique et politique, les conséquences sont désastreuses. De gauche comme de droite, les partis traditionnels ressortent discrédités de l’affaire Lava Jato, qui a exposé au grand jour la corruption systémique des institutions brésiliennes – à l’exception notable du pouvoir judiciaire de Curitiba. L’élection, dimanche 28 octobre 2018, du nauséabond leader d’extrême-droite Jair Bolsonaro à la présidence brésilienne est en partie une conséquence politique de ce gigantesque scandale de corruption, qui a éclaté en mars 2014. La place économique suisse y a contribué.

N’en déplaise à Doris Leuthard, Lava Jato est un nouvel exemple du rôle fondamental que joue la Suisse dans la corruption transnationale, du fait de sa place financière et de ses multinationales.

Les sociétés de négoce sont régulièrement citées dans le cadre de malversations liées aux activités des compagnies étatiques des pays producteurs de matières premières. Les autorités fédérales continuent d’ignorer cet état de fait, acceptant que la Suisse se fasse tancer par l’OCDE en raison de la faiblesse de son arsenal juridique et administratif de lutte contre la corruption. L’instance multilatérale « regrette que les sanctions imposées ne soient pas effectives, proportionnées et dissuasives », en particulier à l’égard des sociétés. Plus spécifiquement, l’OCDE identifie le négoce de matières premières comme un secteur « à risque » devant faire l’objet d’une « régulation adaptée et contraignante ». Nous ne l’aurions pas dit autrement.

Texte : Marc Guéniat et Gaëlle Scuiller

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