ACTA, une menace réelle pour la santé et la démocratie
10 février 2012
Contrairement à ce qu’en disent ses partisans, l’ACTA n’aura que peu d’influence sur le commerce de médicaments falsifiés ou de moindre qualité, véritable fléau en matière de santé publique. Au sens juridique du terme, la « contrefaçon » se limite à une violation de marque déposée. Un faux médicament potentiellement mortel mais ne violant aucune disposition de propriété intellectuelle ne sera ainsi pas touché par l’ACTA, alors qu’un vrai médicament générique légitime de qualité dont le nom s’apparente à une marque déposée pourra être saisi en douane. Tout comme les fournisseurs d’accès à Internet, mués en policier de la toile, les douaniers, financés par des fonds publics, seront appelés à défendre aux frontières les intérêts des grands groupes pharmaceutiques privés.
Depuis 2008, 20 saisies abusives de lots de médicaments génériques en provenance et à destination de pays du Sud ont été effectués lors de leur transit européen, la quasi-totalité sur des produits en provenance d’Inde. Surnommée la « Pharmacie des pays du Sud », l’Inde est le principal pourvoyeur de médicaments génériques pour les pays en développement, fournissant notamment 80% des médicaments contre le Sida. A cause de ces confiscations, des milliers de patients de pays du Sud ont été privés de leur traitement. En l’état, l’ACTA menace d’étendre le risque de telles saisies par les douanes, avec des répercussions également pour les pays tenus à l’écart des négociations.
Actives durant les négociations, la DB et d’autres ONG n’ont cessé de dénoncer les dangers représentés par l’ACTA en matière de droit à la santé et d’entraves aux libertés numériques. Sous la pression, les négociateurs ont renoncé à certaines dispositions controversées, mais le texte final de l’accord va bien au-delà des accords multilatéraux de l’OMC relatifs à la propriété intellectuelle. Plusieurs analyses en provenance du milieu académique, du Parlement européen ou des ONG, dont celle de la DB, mettent en évidence les carences et les dangers de cet accord.
La société civile s’est aussi insurgée contre l’opacité entourant l’ACTA et l’absence de débat public. Alors même que ce traité instaure un nouveau standard international en matière de protection des intérêts commerciaux, il a été négocié en secret et à huit clos par 37 pays majoritairement de l’OCDE entre 2007 et fin 2010, hors des enceintes multilatérales ou onusiennes légitimes. De ce fait, la majorité des pays en développement ont été exclus de la table de négociation. En outre, l’ACTA prévoit d’établir un comité avec de larges pouvoirs pour superviser la mise en œuvre de l’accord, mais aussi pour statuer sur des modifications futures de l’accord, contournant ainsi les processus démocratiques traditionnels.
« L’ACTA est une mauvaise réponse à de vraies questions », déplore Patrick Durisch, responsable du programme santé à la Déclaration de Berne. « La lutte contre les faux médicaments passe avant tout par un renforcement des autorités du médicament dans les pays concernés, garantes de la qualité des produits en circulation, et non pas par le renforcement de la propriété intellectuelle préconisé par l’ACTA. Sous couvert de lutte contre la contrefaçon et le piratage, cet accord ne servira qu’à protéger davantage encore les intérêts commerciaux des pays du Nord et de leurs entreprises. »
A propos de l'ACTA:
Les pays parties prenantes aux négociations de l’ACTA sont : Australie, Canada, République de Corée, Etats-Unis, Japon, Maroc, Mexique, Nouvelle Zélande, Singapour, Suisse, Union européenne (27 Etats membres + Commission européenne). A ce jour, la Suisse, le Mexique et cinq Etats membres de l’Union européenne (dont l’Allemagne et les Pays-Bas) n’ont toujours pas signé l’ACTA. Plusieurs pays européens ayant récemment signé l’accord menacent de suspendre sa ratification. Au niveau communautaire, le Parlement européen, très divisé sur la question, doit encore ratifier l’ACTA courant 2012 avant qu’il n’entre véritablement en force. Le rapporteur du texte au Parlement a démissionné fin janvier avec fracas, dénonçant le processus ACTA ayant abouti à sa signature comme une «mascarade».