Condamnation historique de Gunvor pour des faits de corruption
Lausanne/Zurich, 17 octobre 2019
Dans une enquête exclusive, publiée en 2017, Public Eye mettait déjà en lumière les pratiques douteuses de Gunvor au Congo et documentait les ramifications de cette affaire tentaculaire.
Dans son ordonnance pénale, le MPC reconnaît Gunvor coupable de ne pas avoir pris toutes les mesures d'organisation raisonnables et nécessaires (art 102 du code pénal suisse) pour empêcher la corruption d’agents publics étrangers en rapport avec des marchés pétroliers au Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire. Le négociant s’est rendu coupable de « graves défaillances dans son organisation interne ». Elle n’avait en outre mis en place aucune procédure de diligence raisonnable. « Il apparaît ainsi que le risque de corruption était alors accepté par Gunvor et était inhérent à l’activité commerciale de l’entreprise », selon le communiqué du MPC.
Cette décision invalide la ligne de défense de Gunvor qui s’est longtemps dit victime d’un employé félon ayant agi à son insu et à son détriment.
Le patron de Gunvor, Torbjörn Törnqvist, fondateur et actionnaire à 64 % du groupe, et plusieurs hauts cadres de la société s’en tirent néanmoins à bon compte. Leur rôle pour le moins trouble dans cette affaire avait été établi lors de la condamnation en août 2018 de l’ancien « business developer » de l’entreprise.
Ce dernier était passé aux aveux en échange d’une peine allégée.
Dans son acte d’accusation ratifié par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, il était souligné que cet employé avait « baigné dans une atmosphère de travail où la corruption aurait apparemment été un procédé d’affaires accepté » et que les versements avaient été avalisés par « d’autres collaborateurs de Gunvor ». Et les paiements validés par le service financier.
Il apparaissait, dans l’acte d’accusation, que Torbjörn Törnqvist avait été informé par courriel du fait que Maxime Gandzion – l’un des agents publics congolais ayant reçu 15 millions de dollars de commissions – faisait partie du « cercle de cinq personnes ayant un réel pouvoir de décision au Congo ». En 2015, le grand patron de Gunvor avait été interrogé à Berne comme « personne appelée à donner des renseignements ». Selon les informations de Public Eye, il avait détaillé devant le procureur Sautebin les prestations de Maxime Gandzion, expliquant que ce dernier avait l’oreille du président congolais, qui passait par lui pour « transmettre ses messages, ses attentes et ses espoirs » à Gunvor. Il reconnaissait avoir « approuvé » cet intermédiaire qui ne présentait, selon lui, pas de risque particulier (« Red Flag »).
D’autres volets de la procédure sont encore en cours d’instruction. L’ancien responsable du financement de Gunvor est notamment toujours poursuivi pour corruption. En 2014, il avait été filmé à son insu détaillant des montages permettant de rémunérer des officiels congolais.
L’affaire Gunvor, instruite pendant huit ans, prouve que les hauts dirigeants de sociétés de négoce demeurent intouchables. Malgré l’existence de documents incriminants et de témoignages accablants, faire la preuve de la corruption reste un défi souvent insurmontable pour les autorités suisses.
Si elle est emblématique du modèle d’affaires du secteur suisse des matières premières, cette affaire appelle aussi une réponse politique. Elle montre que les arguments avancés par les sociétés de négoce pour s’opposer à toute régulation ne résistent pas à l’examen de leurs pratiques. Les autorités fédérales ne peuvent plus continuer à miser sur la bonne volonté des firmes, mais doivent réguler ce secteur à haut risque comme le demandait Public Eye dans un récent rapport.
Plus d’informations sur les « aventures » de Gunvor au Congo ici ou auprès de :
Agathe Duparc, enquêtrice matières premières, agathe.duparc@publiceye.ch +33(0)771223413
Adrià Budry Carbó, enquêteur matières premières, adria.budrycarbo@publiceye.ch +41(0)787386448