Congo Hold-up: un réseau libanais sous sanctions touchait à Genève les millions d’un douteux commerce de viande

Public Eye publie aujourd’hui deux nouveaux volets de Congo Hold-up, une vaste enquête menée par un consortium de médias et d’ONG sur les méthodes kleptocrates du clan Kabila, qui avait fait de BGFIBank RDC sa «banque de poche». À la tête du groupe Congo Futur, un puissant réseau de commerçants libanais sous sanctions américaines avait trouvé refuge au sein de cet établissement. Des documents révèlent qu’entre 2011 et 2015, une société offshore appartenant à cette nébuleuse a reçu plus de 10 millions de dollars sur un compte bancaire à Genève pour un obscur commerce de viande. La fuite massive de données montre aussi que la Suisse, et la société qui fabrique ses cartes d’identité, ont joué un rôle dans les manigances politiques et financières de la Commission électorale congolaise.

Les révélations de Congo Hold-up, la plus importante fuite de données en provenance du continent africain*, mettent en lumière la manière dont l’antenne de BGFIBank en République démocratique du Congo (RDC) a permis au clan de l’ancien président Joseph Kabila de siphonner plus de 138 millions de dollars de fonds publics congolais. Cet établissement a aussi offert à des réseaux d’hommes d’affaires douteux un accès au système bancaire international. Parmi eux: Congo Futur. Fondée en 1997 par les Tajideen, une famille de commerçants libanais, cette nébuleuse de sociétés spécialisées dans le commerce de viande s’est imposée comme l’un des plus gros importateurs de denrées en RDC. Grâce à ses liens avec le clan Kabila, elle y a longtemps occupé une position dominante, malgré ses ennuis avec la justice en Europe et aux États-Unis. En 2009, Kassim Tajideen, l’homme fort de Congo Futur, a été mis sur la liste des sanctions du Département du Trésor américain (OFAC), identifié comme un important soutien financier du Hezbollah. La même année, la justice belge l’a condamné pour blanchiment d’argent et faux dans les titres. En 2010, c’est son groupe Ovlas Trading – qui chapeaute Congo Futur – qui a rejoint la liste rouge de l’OFAC.

Notre enquête a permis de découvrir qu'entre mai 2011 et avril 2015, une société offshore libanaise – Global and Infinite Traders (GAIT), qui faisait partie du groupe Ovlas Trading – a pu en toute tranquillité recevoir des millions de dollars sur son compte à Genève auprès de BankMed (Suisse) SA. Cette minuscule structure a reçu 62 versements pour un total de 11,37 millions de dollars, sans que le service de conformité de BankMed ne s’en alarme. Ces fonds provenaient de six sociétés liées à Congo Futur, qui opéraient en RDC et avaient leurs comptes auprès de BGFIBank RDC. GAIT facturait leurs achats de viande en Belgique et dans d’autres pays, puis touchait une partie des recettes en Suisse. Le modus operandi de ce «commerce triangulaire» entre entités du même groupe peut permettre de manipuler les prix, voire de réaliser des opérations de blanchiment d’argent. C’est ce que la justice belge avait démontré lors de la condamnation de Kassim Tajideen pour des schémas similaires.

Les données de Congo Hold-up dessinent aussi le rôle joué par la Suisse dans les intrigues électorales qui ont permis au clan Kabila de s’accrocher encore deux ans au pouvoir après la fin de son mandat. Dans la perspective du scrutin présidentiel de décembre 2018, c’est sur le territoire helvétique que se sont déroulées deux histoires emblématiques des pratiques obscures de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). La première raconte comment le groupe néerlandais Gemalto, qui avait racheté en 2015 le fleuron argovien Trüb – fabriquant des cartes d’identité suisses modernes –, s’est appuyé sur cette filiale pour faire du lobbying auprès d’un proche de Kabila et décrocher un marché de 46 millions d’euros auprès de la CENI pour la fourniture de kits électoraux d’enrôlement. En RDC, la mise en œuvre de ce contrat s’est accompagnée de manigances financières. La seconde histoire met en scène une petite société ghanéenne qui a reçu plusieurs millions de dollars de la CENI sur ses comptes auprès de l’Union Bancaire Privée (UBP) à Genève, dans le cadre d’un marché particulièrement opaque.

Plus d’informations ici ou auprès de:

Agathe Duparc, enquêtrice, Public Eye, +33 7 71 22 34 13, agathe.duparc@publiceye.ch
Géraldine Viret, responsable média, Public Eye, +41 78 768 56 92, geraldine.viret@publiceye.ch


*Congo Hold-up: le fruit d’une alliance inédite. Les données à l’origine de Congo Hold-up ont été obtenues par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et le site d’investigation français Mediapart, puis partagées avec 19 médias internationaux coordonnés par le réseau European Investigative Collaborations (EIC), ainsi que cinq ONG. Parmi eux: de prestigieux titres comme Bloomberg, Der Spiegel, Le Soir et De Standaard, ainsi que des organisations à but non lucratif telles que Congo Research Group, Resources Matters et The Sentry.