HSBC (Suisse) et l’affaire Riad Salamé: une décennie d’alertes ignorées
Lausanne, Zurich, 17 mars 2025
L’essentiel en bref:
- L’enquête exclusive de Public Eye révèle les graves défaillances de HSBC Private Bank (Suisse) dans l’affaire Riad Salamé, l’ex-gouverneur de la Banque du Liban accusé de détournement de fonds publics.
- La banque genevoise a ignoré toutes les alertes de son service compliance, attendant plus de dix ans pour signaler les transactions suspectes au Bureau de lutte anti-blanchiment (MROS).
- En janvier, l’État libanais aurait déposé une plainte pénale en Suisse contre Riad et Raja Salamé, ainsi que toute partie impliquée, dont HSBC.
La procédure pénale ouverte en Suisse contre Riad Salamé et son frère Raja pour soupçons de blanchiment d’argent aggravé a permis d’établir qu’entre 2002 et 2015, près de 330 millions de dollars (US) provenant de la Banque du Liban (BDL) ont été versés à HSBC Private Bank (Suisse), à Genève. Ces fonds sont arrivés sur le compte de Forry Associates, une structure offshore enregistrée aux îles Vierges britanniques dont l’ayant droit économique déclaré est Raja Salamé. Une partie de cet argent a ensuite été ventilé vers des comptes au Liban ainsi que vers des sociétés offshore dont Riad Salamé, alors gouverneur de la BDL, était le bénéficiaire ultime. Selon les enquêteurs, ces fonds présumés illicites auraient permis au clan Salamé de se constituer un patrimoine immobilier dans plusieurs pays, dont la Suisse, comme nous le racontions en octobre dernier.
Des documents inédits consultés par Public Eye révèlent la manière dont ce dossier sensible a été géré à l’interne par HSBC Private Bank (Suisse). Au total, entre 2006 et 2013, une vingtaine d’alertes et demandes de clarification ont été envoyées par le service conformité de la banque aux responsables du compte de la société Forry Associates. Outre les arrivées de fonds à un rythme soutenu, les nombreux transferts vers d’autres sociétés au profil obscur ont également suscités des interrogations. Pourtant, les instances dirigeantes de HSBC Private Bank (Suisse) ont systématiquement choisi d’ignorer ces alertes, en s’appuyant notamment sur les propos rassurants du banquier responsable du compte, qui occupait alors de hautes fonctions au sein de la banque.
Cette plongée dans les rouages de la compliance d’une grande banque privée illustre les faiblesses du dispositif anti-blanchiment helvétique, qui compte sur les intermédiaires financiers pour dénoncer eux-mêmes leurs client·e·s en cas de soupçons. Si la relation bancaire avec Raja Salamé a finalement été rompue au printemps 2016, HSBC Private Bank (Suisse) a encore attendu jusqu’à l’été 2020 pour transmettre une communication de soupçons au Bureau de lutte anti-blanchiment (MROS), lorsque la pression médiatique s’est accentuée.
La banque genevoise s’en sort plutôt bien à ce stade. En juin 2024, la FINMA, l’Autorité de surveillance des marchés financiers, lui a ordonné de revoir ses relations d’affaires et ses procédures internes. HSBC Private Bank (Suisse) s’est vu interdire, d’ici-là, de nouer de nouvelles relations avec des personnes politiquement exposées. L’affaire pourrait toutefois prendre un nouveau tournant. En janvier, l’État libanais aurait déposé une plainte pénale en Suisse. Selon nos informations, celle-ci serait dirigée contre Riad et Raja Salamé ainsi que toute partie impliquée, dont HSBC. L’objectif: élargir le champ de l’enquête menée en Suisse et se constituer partie plaignante afin d’obtenir d’éventuels dédommagements.
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