Le négociant zougois Kolmar Group AG réclame 1,8 million de dollars à Public Eye et TRIAL International
Lausanne, Zurich, 29 septembre 2023
Pas moins de 1,8 million de dollars (US) ! Ce sont les dommages et intérêts réclamés par le négociant privé Kolmar Group AG à Public Eye et TRIAL International*, dans le cadre d’une action civile lancée le 25 septembre 2023 auprès du Tribunal cantonal de Zoug. Selon les informations accessibles au public, jamais un tel montant n’a été exigé d’une ONG en Suisse au motif d’une atteinte présumée aux droits de la personnalité. Au cœur de ce bras-de-fer: le rapport «Contrebande de gasoil libyen: un négociant suisse navigue en eaux troubles» (mars 2020), fruit de plus d’un an d’investigation entre la Suisse, Malte et la Sicile. Cette enquête a révélé la participation de Kolmar Group AG dans le commerce de gasoil libyen entre 2014 et 2015, dans le contexte de la deuxième guerre civile en Libye. Il a notamment été possible de retracer l'itinéraire de trois tankers pétroliers en provenance des côtes libyennes, qui ont déversé, à vingt-deux reprises, leur cargaison dans les citernes que le négociant zougois louait alors à Malte.
Selon les documents obtenus par Public Eye et TRIAL International, ces produits pétroliers provenaient d'un réseau transnational de contrebande de gasoil issu du pillage de raffineries de pétrole étatique libyen. Le carburant – subventionné et destiné à la population – était détourné des cuves libyennes grâce à la complicité d’un groupe armé, transbordé depuis des bateaux de pêche libyens vers des navires affrétés par deux hommes d’affaires maltais dans les eaux internationales, puis acheminé jusqu’à Malte. En mai 2020, quelques mois après la publication de cette enquête, TRIAL International déposait une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération (MPC), suivie peu après par une communication du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent MROS. En novembre 2020, le parquet fédéral ouvrait une enquête contre inconnus pour «soupçons de crimes de guerre en se livrant au pillage» (art. 264g, al.1 let. c du Code pénal) en lien avec ces faits.
L’action en justice civile intentée par Kolmar Group AG est le dernier chapitre d’une bataille qui dure depuis plus de trois ans. Fin mai 2020, quelques jours après le dépôt par TRIAL International de la dénonciation auprès du MPC, le négociant – qui n’avait jamais répondu aux demandes répétées des ONG de se positionner avant la publication de l’enquête, puis exigé, juste après sa parution, un droit de réponse – a porté plainte contre ses auteur/trices devant le Ministère public du canton de Berne, les accusant de «diffamation, voire de calomnie». Après une première décision de non-entrée en matière, un recours du négociant a été accepté pour des questions procédurales. L’affaire est toujours en cours.
En réclamant désormais 1,8 million de dollars de dommages et intérêts au civil, Kolmar Group AG accentue massivement la pression financière. Les ONG contestent fermement les allégations de Kolmar Group AG et s’y opposeront en conséquence. Cette procédure illustre bien comment la justice, en Suisse aussi, est de plus en plus souvent amenée à juger des cas dans lesquels les plaignants cherchent à obtenir le retrait de publications portant sur des sujets d’intérêt public. C’est en réponse à cette tendance que l'Alliance suisse contre les SLAPP a récemment été créée, afin de sensibiliser à l’impact négatif de pratiques extrêmement dangereuses pour la liberté d’expression et la démocratie.
Plus d’informations auprès de:
- Géraldine Viret, responsable média Public Eye, 078 768 56 92, geraldine.viret@publiceye.ch
- Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International, 022 519 03 96, media@trialinternational.org
*TRIAL International est une organisation non-gouvernementale qui lutte contre l’impunité des crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice. TRIAL International adopte une approche innovante du droit, ouvrant un chemin vers la justice pour les survivants de souffrances indicibles. L’organisation offre une assistance juridique, saisit la justice, développe les capacités des acteurs locaux et plaide en faveur des droits humains.
*Public Eye porte un regard critique sur l’impact de la Suisse et de ses entreprises sur les pays économiquement défavorisés. Par un travail d’enquête, de plaidoyer et de campagne, nous dénonçons les injustices qui trouvent leur origine en Suisse et demandons le respect des droits humains partout dans le monde.