Malgré son procès pour corruption, Trafigura poursuit ses affaires angolaises à bord de «son train»
Lausanne, Zurich, 26 novembre 2024
Déçue par la Chine, dont les contrats ont fini par asphyxier les finances publiques, l’Angola a attribué, en 2022, la concession du corridor de Lobito au consortium «européen» Lobito Atlantic Railway (LAR), emmené par Trafigura. En octobre 2024, Public Eye a remonté la piste angolaise afin de comprendre comment la maison de négoce est parvenue, malgré ses déboires judiciaires, à mettre la main sur ce projet stratégique soutenu à coup de centaines de millions de dollars par les États-Unis. L’objectif de ces 1700 kilomètres de voie ferrée: détourner les minerais provenant de la ceinture de cuivre centre-africaine de leurs routes orientales pour les rediriger vers Lobito, un port atlantique tourné vers le monde occidental.
À partir de 2010, Trafigura s’est appuyée sur ses réseaux historiques et ses intermédiaires clés de l’ère Dos Santos pour mettre un premier pied dans le corridor de Lobito, déjà une ambition de son cofondateur Claude Dauphin, décédé en 2015. Son premier investissement, daté de septembre 2010, portait sur un montant total de plus de 87,5 millions de dollars. Il était destiné à la construction de deux plateformes logistiques à Huambo et Lobito, ainsi que d’un centre de stockage à Catumbela. Le deuxième, daté du 29 octobre 2014, prévoyait la construction de deux plateformes à Huambo et Luena pour quelque 52,7 millions de dollars.
Ces investissements ont été réalisés au travers d’une structure opaque, AngoFret Ltda, administrée par Mariano Marcondes Ferraz, un ancien cadre de Trafigura surnommé «Monsieur Angola». Condamné en 2018 au Brésil – puis en 2019 en Suisse – pour avoir versé des pots-de-vin à la société publique brésilienne Petrobras, ce sont ses aveux qui valent à la maison de négoce – et à trois personnes physiques – d’être jugée devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone pour corruption présumée sur le marché pétrolier angolais.
AngoFret Ltda appartenait à DT Group, une coentreprise (joint-venture) entre le général Leopoldino Fragoso do Nascimento, surnommé «Dino» (aujourd’hui sous sanctions du Trésor états-unien), et Trafigura. DT Group, dont Ferraz était alors le directeur opérationnel, se trouvait au cœur de la machinerie de Trafigura en Angola sous l’ère Dos Santos. Le cousin de Dino faisait également partie des premiers investisseurs au côté de Trafigura. Par ailleurs, l’avocate qui s’était occupée des domiciliations d'entreprises était la petite-nièce d’une autre personne politiquement exposée: le général Kopelipa, lui aussi aujourd’hui sous le coup de sanctions. Elle disposait alors d’une adresse e-mail hébergée par Trafigura. Elle a également créé la filiale angolaise de l’opérateur ferroviaire belge Vecturis, partenaire de Trafigura dans le consortium LAR. Le cofondateur de Vecturis affirme ne pas connaître l’existence de cette entité, qui faisait partie de la galaxie DT Group.
Contactée, Trafigura souligne avoir obtenu la concession du corridor de Lobito à travers «un processus d’appel d’offres transparent». La maison de négoce affirme ne pas avoir de « liens corporatistes » avec Vecturis et ne plus compter – depuis décembre 2021 – le général Dino parmi ses actionnaires ni ceux de l’une de ses filiales. Elle ajoute que le général Kopelipa n’a été actionnaire d’«aucune entité légale du groupe Trafigura».
La population angolaise, dont un tiers des 38 millions d'habitant·e·s vit avec moins de 2,15 dollars par jour, espère que le corridor de Lobito améliorera son quotidien, en favorisant le développement des provinces centrales encore marquées par la guerre civile, qui a pris fin en 2002. Pourtant, les infrastructures le long du corridor sont très vétustes, comme en témoigne le récent déraillement d’un train de soufre du consortium.
Des photos et une carte sont disponibles pour les médias
Plus d’informations ici ou auprès de:
- Adrià Budry Carbó, enquêteur matières premières (présent à Bellinzone pour le procès), +41 78 738 64 48, adria.budrycarbo@publiceye.ch
- Géraldine Viret, responsable médias, +41 78 768 56 92, geraldine.viret@publiceye.ch