Pour l’amour du rouble: le Conseil fédéral et les négociants suisses font fi de leurs responsabilités
Lausanne/Zurich, 24 mars 2022
En raison de l’invasion russe en Ukraine, le marché mondial manque cruellement de céréales. Cette pénurie, combinée à l’augmentation massive des prix de l’énergie, fait exploser ceux des denrées alimentaires. Au Proche et au Moyen-Orient, ainsi qu’en Asie, la sécurité alimentaire des pays dépendant des importations est gravement menacée. Si la Suisse, première place mondiale du négoce agricole, se dit préoccupée, elle met aussi en garde contre des sanctions qui toucheraient le négoce de matières premières parce que celles-ci risqueraient d’entraîner une crise alimentaire et des troubles sociaux. Les prix des denrées alimentaires avaient déjà massivement augmenté durant la pandémie de Covid-19 en raison de mauvaises récoltes et de problèmes d’approvisionnement. A l’époque, l’inquiétude de la Suisse était toutefois restée mesurée.
Aujourd’hui, la Suisse met soudain en avant la sécurité de l’approvisionnement dans les pays du Sud. Le fait de renoncer à des sanctions contre le négoce de matières premières n’éloigne pourtant pas la menace d’une crise alimentaire. Au contraire, le négoce de pétrole et de gaz russes alimente généreusement le trésor de guerre de Poutine. La Suisse ne peut pas décider de sanctions de son propre chef, mais seulement reprendre celles de ses principaux partenaires commerciaux. Elle doit donc s’engager pour que l’Union européenne prononce le plus rapidement possible des sanctions contre le commerce de pétrole et de gaz – et les reprendre ensuite intégralement et immédiatement.
Pour éviter une crise alimentaire, il faut par ailleurs une initiative internationale coordonnée qui apporte un soutien logistique et financier aux pays les plus menacés. Mi-mars, le secrétaire général de l’ONU António Guterres a annoncé la création d’un « Global Crisis Response Group on Food, Energy and Finance ». Si la Suisse se soucie de la sécurité alimentaire mondiale, elle doit participer sans délai et de manière déterminée à cet important projet.
Le Conseil fédéral n’est pas le seul à fuir ses responsabilités dans ce conflit. De nombreux négociants agricoles suisses ont également du mal à faire preuve de transparence sur leurs activités en Russie et à en tirer les conséquences. Ils justifient volontiers leur attitude en évoquant les difficultés auxquelles sont confronté∙e∙s leurs employé∙e∙s locaux ainsi que le droit à l’alimentation de la population russe. Mais lorsque ces arguments légitimes sont utilisés par des géants du négoce agricole comme Cargill, dont le modèle d’affaires conduit trop souvent à des violations des droits humains et du travail dans le monde entier, cela ne manque pas d’un certain cynisme.
En plus de la transparence et d’une position claire, les entreprises qui décident de maintenir des activités commerciales dans des pays menant une guerre doivent impérativement renforcer leur devoir de diligence. Elles doivent analyser en continu l’impact de leurs activités sur les droits humains. En cas de réduction des activités ou de retrait, elles doivent s’assurer que les droits du travail des employé∙e∙s sont respectés. En parallèle, les entreprises doivent tout faire pour éviter de soutenir économiquement ou politiquement le régime belliciste ou d’amoindrir l’effet des sanctions existantes.
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