Procès en diffamation: la justice bernoise balaie les reproches de Kolmar Group AG
Lausanne, Zurich, 21 février 2024
Dans son jugement rendu public aujourd’hui, la justice bernoise a mis en avant la solidité et la crédibilité du travail d’enquête journalistique réalisé par les deux autrices et l’auteur du rapport «Contrebande de gasoil libyen: un négociant suisse navigue en eaux troubles», publié en mars 2020 par Public Eye et Trial International. Le tribunal a estimé qu'elles/il ont pleinement rempli leurs obligations journalistiques, en s'appuyant sur de nombreuses sources, documents et témoignages. Il a par ailleurs souligné que leur enquête s'inscrivait dans la démarche d'intérêt public poursuivie par ces ONG. Public Eye et Trial International ainsi que les personnes acquittées saluent ce verdict important. Il confirme qu’enquêter et révéler la vérité n'est pas une infraction, mais un pilier de notre démocratie. Nous restons déterminé∙e∙s à défendre ce principe, quels que soient les obstacles.
Fruit de plus d’un an d’investigations entre la Suisse, Malte et la Sicile, ce rapport a permis de documenter la participation de la société Kolmar Group AG, domiciliée à Zoug, au commerce de gasoil libyen entre 2014 et 2015, alors que ce pays était en proie à la guerre civile. Les enquêtrices et enquêteur ont notamment pu retracer l’itinéraire de trois tankers pétroliers en provenance des côtes libyennes, qui avaient déversé, à vingt-deux reprises, leur cargaison dans les citernes que le négociant louait alors à Malte. Selon les documents obtenus, ces produits pétroliers provenaient d’un réseau transnational de contrebande de gasoil issu du pillage de raffineries de pétrole étatique libyen. Le carburant – subventionné et destiné à la population – était détourné des cuves libyennes par le réseau grâce à la complicité d’un groupe armé, transbordé depuis des bateaux de pêche libyens vers des navires affrétés par deux hommes d’affaires maltais dans les eaux internationales, puis acheminé jusqu’à Malte.
En mai 2020, Trial International déposait une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération (MPC), suivie de près par une communication du MROS (Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent) évoquant «un contexte identique», selon le MPC. Une enquête pénale contre inconnus pour «soupçons de crimes de guerre en se livrant au pillage» (art. 264g, al.1 let. c du Code pénal) a été ouverte, en novembre 2020, par le parquet fédéral en lien avec ces faits. Elle est toujours en cours, comme nous l’a récemment confirmé le MPC.
Kolmar Group AG, qui n’avait jamais répondu aux questions et demandes répétées des ONG de se positionner avant la publication du rapport, s’est montrée depuis bien plus réactive sur le terrain judiciaire. En septembre 2023, le négociant a également intenté une action civile pour atteinte présumée à la personnalité contre Public Eye et Trial International, ainsi que contre les autrices et auteur du rapport, auprès du Tribunal cantonal zougois, accentuant ainsi massivement la pression. La procédure civile se poursuivra en 2024 et 2025.
De telles procédures illustrent bien comment la justice, en Suisse aussi, est de plus en plus souvent amenée à juger des cas dans lesquels les plaignants cherchent à obtenir le retrait de publications portant sur des sujets d’intérêt public. D’autres affaires emblématiques devraient passer devant les tribunaux en 2024, à l’instar du procès qui opposera bientôt Swissaid au raffineur d’or tessinois Valcambi. C’est en réponse à cette tendance que l'Alliance suisse contre les SLAPP a été créée, afin de sensibiliser à l’impact négatif de ces pratiques extrêmement dangereuses pour la liberté d’expression et la démocratie.
Plus d’informations auprès de:
- Géraldine Viret, responsable médias Public Eye, +41 78 768 56 92, geraldine.viret@publiceye.ch
- Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International, 022 519 03 96, media@trialinternational.org