Transparence du secteur des matières premières: la Suisse ignore ses responsabilités

Le Conseil fédéral refuse d’améliorer la transparence dans le secteur des matières premières. Son message sur la révision du droit de la société anonyme, présenté aujourd’hui au Parlement, exempte définitivement les activités de négoce des dispositions relatives à la transparence des paiements aux gouvernements. La Suisse s’inscrit en faux contre les discussions en cours qui, au niveau international, plaident en faveur de leur inclusion.
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Le Conseil fédéral a remis aujourd’hui au Parlement son message sur la révision du droit de la société anonyme. Son projet prévoit notamment d’introduire dans le code des obligations des dispositions relatives à la transparence des paiements effectués aux gouvernements et aux sociétés contrôlées par l’Etat dans le secteur des matières premières. Le Conseil fédéral propose cependant d’exempter les opérations de négoce de cette obligation, alors même que la Suisse est la première place mondiale pour le commerce de matières premières. Contrairement à ce qu’il envisageait initialement, le Conseil fédéral a en outre renoncé à la possibilité d’étendre ultérieurement ces dispositions aux négociants par voie d’ordonnance « dans le cadre d’une procédure harmonisée à l’échelle internationale ». Il revient désormais au Parlement de rectifier cette décision incompréhensible afin que la Suisse assume ses responsabilités.

Les lacunes de transparence dans le domaine du négoce de matières premières sont pourtant toujours plus criantes. Selon un rapport publié la semaine passée, le négociant genevois Trafigura a payé en 2015 pour 13,6 milliards de dollars aux gouvernements ou aux sociétés étatiques en charge de la vente de matières premières. Ces données – Trafigura est le seul négociant à en publier volontairement – soulignent aussi que la Suisse ne peut pas se résoudre à transférer ses responsabilités aux pays producteurs de matières premières. Près de 93 pourcent des paiements effectués par Trafigura l’ont été avec les gouvernements de pays qui n’ont pas adhéré à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Bien que l’ITIE se soit efforcé depuis 2013 à inclure de nouvelles dispositions de transparence qui incluent le négoce, d’importants pays producteurs de matières premières, comme la Russie ou l’Angola, n’en font pas partie. Leurs ventes de pétrole, dont une proportion substantielle échoit à des négociants suisses, demeurent ainsi dans l’ombre.

La transparence est un instrument important pour lutter contre la corruption endémique dans le secteur des matières premières. Contrairement aux craintes du Conseil fédéral, l’initiative de Trafigura prouve qu’il est possible de publier les chiffres relatifs aux paiements aux gouvernements sans entrainer pour autant de désavantages concurrentiels. L’importance des négociants suisses et d'autres acheteurs dans l’acquisition de matières premières appartenant aux Etats a été soulignée dans un rapport publié par Swissaid et Public Eye : entre 2011 et 2013, ils ont acheté du pétrole brut pour un montant équivalent à 56 pourcent des recettes budgétaires cumulées des dix plus importants producteurs d’Afrique subsaharienne.

Afin de combler cette béante lacune de transparence, les initiatives destinées à rendre le négoce des matières premières plus transparent se multiplient à l’échelle internationale. Le Royaume-Uni – deuxième place mondiale du négoce de matières premières – et l’UE envisagent d’intégrer le négoce dans le cadre du processus de révision de leur réglementation en matière de transparence des paiements. Le Parlement britannique exige explicitement du gouvernement qu’il « se penche sur les suggestions […] relatives au négoce afin d’évaluer les mesures permettant d’encourager une plus grande transparence ». Et, lors du Sommet anticorruption tenu à Londres en mai passé, le Royaume-Uni, la Suisse et dix autres pays se sont engagés à améliorer la transparence dans ce secteur. La décision prise aujourd’hui ne respecte pas cette promesse.

Plus d’informations auprès de :

Gian-Valentino Viredaz, Public Eye, 021 620 06 14, valentino.viredaz@publiceye.ch

Lorenz Kummer, SWISSAID, 079 307 25 92, l.kummer@swissaid.ch