La Suisse attaque l’accès aux médicaments en Thaïlande et contredit ses engagements
17 avril 2008
Dans le passé, la Suisse a plusieurs fois souligné qu’elle respectait le droit des pays en développement d’utiliser les flexibilités données par l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelles qui touchent au Commerce (ci-après Accord sur les ADPIC) afin de protéger la santé publique de leur population. C’est le sens de la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique de 2001 que la Suisse a signé. Pourtant, lorsqu’un pays en développement (ici la Thaïlande) utilise ces flexibilités en octroyant des licences obligatoires sur des médicaments produits par des entreprises suisses, la Suisse proteste et remet en cause l’usage des licences obligatoires. Les belles paroles de la Suisse ne résistent pas à l’épreuve des faits.
Suite aux licences obligatoires que la Thaïlande a octroyées en janvier 2008 sur des médicaments de Roche et de Novartis, le gouvernement suisse a communiqué un «aide mémoire» (daté du 25 février) au gouvernement thaïlandais. Il demande à celui-ci de revoir sa politique de licences obligatoires dans un sens restrictif (octroi de licences seulement dans des circonstances spécifiques, seulement pour certains problèmes de santé publique, seulement en ultime recours).
Dans une lettre envoyée le 17 avril, la Déclaration de Berne et une vingtaine d’organisations suisses et thaïlandaises ont demandé à la Suisse de respecter le droit de la Thaïlande à octroyer des licences obligatoires pour la santé publique de sa population, en usant de toute la marge de manœuvre que lui donne l’Accord sur les ADPIC. Cela implique de cesser les pressions pour dissuader la Thaïlande d’accorder des licences obligatoires. La politique de la Suisse est d’autant moins défendable qu’à la fin de l’année 2007, elle vient d’introduire dans sa législation la possibilité d’octroyer des licences obligatoires en cas de prix prohibitifs des tests diagnostics.
*Les organisations signataires de la lettre sont:
Suisse: aidsfocus.ch - plate-forme suisse «VIH/SIDA et coopération internationale», Bethlehem Mission Immensee, Campagne pour l’accès aux médicaments essentiels – Médecins Sans Frontières International (MSF) à Genève, Centrale Sanitaire Suisse Romande (CSSR), Déclaration de Berne, Ligue suisse contre le cancer, MIVA Schweiz, Pharmaciens Sans Frontières Suisse, SolidarMed.
Contexte:
Depuis 2001, la Thaïlande mène une politique visant un accès gratuit de sa population aux soins de santé publique. Grâce à un programme de prévention, de traitement et de prise en charge du VIH/sida exemplaire, le pays qui compte plus de 600'000 personnes porteuses du virus a réussi à maîtriser l’épidémie et à traiter une part croissante de malades. Pour faire face au problème des prix élevés que font peser sur le budget de santé publique certains médicaments brevetés jugés indispensables, la Thaïlande a établi une procédure pour octroyer des licences obligatoires. Ces licences autorisent la production locale ou l’importation de versions génériques moins onéreuses sans l’accord des détenteurs de brevets. En 2006 et 2007, le gouvernement thaïlandais a octroyé des licences obligatoires sur des médicaments contre le VIH/SIDA. Celles-ci ont permis de réduire drastiquement le coût des médicaments, et d’augmenter le nombre de patients traités. En janvier 2008, le gouvernement thaïlandais a octroyé de nouvelles licences obligatoires sur des médicaments brevetés contre le cancer (dont deux médicaments de Novartis, et un de Roche). Le cancer est une des causes majeures de mortalité en Thaïlande. Il cause plus de 30'000 décès par an. Les licences obligatoires sont autorisées par l’article 31 de l’Accord sur les ADPIC de l’OMC. La Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique de novembre 2001 a précisé que «Chaque Membre [de l’OMC] a le droit d'accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées.»