Lorsque Syngenta finance la recherche académique

Le 11 novembre dernier, l’Institut fédéral de technologie de Zurich (ETH) et Syngenta annonçaient le lancement d'une nouvelle chaire sur les agroécosystèmes durables.
© ETH Zürich/Susi Lindig

Cette nouvelle chaire s’inscrira dans la World Food System Initiative de l’ETH et son financement sera assuré par Syngenta à raison de 10 millions de francs pour dix ans. Le partenariat entre Syngenta et l’ETH doit servir de plateforme pour de futurs projets communs sur les thèmes de la sécurité alimentaire et de l’agriculture durable.

Intriguée par cette annonce, la Déclaration de Berne a mené sa propre enquête. Il faut dire que depuis la création de Syngenta, la DB ne cesse d’attirer l’attention sur les pratiques commerciales peu durables de l’entreprise bâloise. Elle a ainsi épinglé le géant agrochimique pour l’empoisonnement de milliers de paysans via la commercialisation du Paraquat (un dangereux pesticide) et mis en évidence le frein à l’innovation engendré par sa politique des brevets. La DB a en outre montré par quelles techniques de lobbying et de communication Syngenta fait progresser ses ventes de pesticides et de semences génétiquement modifiées. Dans de telles conditions, l'entreprise Syngenta est-elle vraiment un partenaire crédible et fréquentable pour l’ETH dans le domaine des "agroécosystèmes durables"?

Rencontre avec les dirigeants de l’Institut

Au sein du groupe de travail suisse SAG sur le génie génétique, de nombreuses organisations membres partagent les doutes de la DB. La présidente Maya Graf et François Meienberg, de la DB, ont cherché à en savoir plus. Suite à plusieurs échanges de courrier avec Ralph Eichler, président de l’ETH, une rencontre avec les représentants du SAG a pu être organisée, à laquelle Tina Goethe (Swissaid), Nina Buchman, professeure à l’Institut des sciences agraires et directrice du centre de compétences pour un système d’alimentation mondiale (ETH), et Nikolaus Gotsch, membre de la présidence, ont également assisté.

La politique de transparence de l’ETH est à saluer. En effet, les membres de l’Institut nous ont mis sous les yeux les détails du contrat conclu avec Syngenta, ce qui nous a permis de mieux comprendre la nature de ce partenariat.

Un siège pour Syngenta au Comité de sélection des professeurs

Conformément au contrat, Syngenta a droit à un siège au Comité de sélection des professeurs (composé de 16 membres). Le ou la représentant/e de Syngenta est le seul membre qui ne soit pas issu d’une institution de recherche publique. Si Syngenta devait émettre une réserve justifiée à l’égard d’un ou une candidat/e, le président de l’ETH est tenu de la prendre en considération au moment de décider quels candidats seront proposés au Conseil de l’ETH pour le poste.

La DB estime que le contrat accorde trop de pouvoir à Syngenta. Le choix des professeurs a en effet des répercussions sur la gestion de la chaire. Une entreprise qui, dans le domaine de la recherche, représente ses propres intérêts commerciaux à tout à gagner de figurer dans un tel comité de sélection. Ce sont les personnes jugées les plus compétentes dans le domaine qui doivent être engagées, indépendamment de l'avis de Syngenta.

Une adhésion au « Partnership Council » qui ne pose pas problème

Comme d’autres donateurs de la «world Food System Initiative» (Coop, Fondation Mercator, Bühler) Syngenta sera également représentée au sein d'un « Partnership Council ». Cette représentation semble légitime dans le cadre des échanges entre l’ETH et ses bailleurs de fonds, puisque cette instance ne prend aucune décision relatives aux projets de recherche. Syngenta ne sera pas représentée dans le « Advisory Board » du World Food System, qui a une fonction consultative

Une influence incontestablement douteuse

Selon la DB, Syngenta exerce une influence informelle sur la chaire, dont l'existence n'est possible que grâce au financement de l'entreprise bâloise. La chaire aura certainement quelques scrupules à publier des résultats dénonçant les pratiques commerciales de son précieux donateur. Compte tenu des domaines de recherche dans lesquels la future chaire pourrait s’investir, ces relations étroites sont très inquiétantes. Il est par exemple envisagé de comparer les conséquences environnementales de l’agriculture biologique et celles de l’agriculture conventionnelle. Une question sur laquelle Syngenta, premier vendeur de produits agrochimiques, a sans doute une opinion très claire.

Cette influence informelle est inévitable, même si les partenaires s’engagent contractuellement – comme c’est le cas ici – à garantir l’indépendance de la recherche, de l’enseignement et des publications de la nouvelle chaire.

Syngenta comme futur partenaire?

Selon Syngenta et l’ETH, le partenariat servira de plateforme pour de futurs projets. Cela signifie-t-il que Syngenta deviendra le partenaire attitré de la chaire, prétendument indépendante, pour d’autres projets?

Ralph Eichler, président de l’ETH, a répondu par la négative, assurant que la nouvelle chaire serait libre de choisir ses partenaires. Dans ce cas, pourquoi l’institut se félicite-t-il, dans le communiqué, de ce don présenté comme la base d'une plateforme pour une future coopération. Selon la DB, le choix de futurs partenaires risque d'être influencé par ce don de Syngenta, malgré les affirmations du président de l’ETH.

Conclusion

Cette coopération présente résolument des aspects très gênants. L’ETH de Zurich semble avoir agi de manière quelque peu naïve, tant les conséquences néfastes du financement d’une chaire sur les agroécosystèmes durables par le premier producteur de pesticides dans le monde sont évidentes. Que dirait-on si une grande marque de cigarettes finançait une chaire sur la prévention de l’addiction?

A l'avenir, l’ETH devrait éviter des collusions d’intérêt aussi flagrantes. L’indépendance de la recherche au service de la collectivité est un bien précieux, qu’il s’agit de défendre coûte que coûte face aux intérêts des particuliers.