Glencore a besoin d’une décision du Ministère public pour en finir avec les affaires de corruption
David Mühlemann, 4 janvier 2023
Cette première année fiscale complète sous la direction de Gary Nagle, nouveau PDG, et de Kalidas Madhavpeddi, nouveau président du conseil d’administration, entrera dans les annales: 2022 devrait être une année record, avec des bénéfices historiques. Selon le Financial Times, Glencore, entreprise à l’activité controversée, a été «l’un des plus grands bénéficiaires du tumulte provoqué par la guerre en Ukraine sur les marchés des matières premières».
Glencore aurait enregistré un bénéfice faramineux de 12 milliards de dollars US au premier semestre.
Et un second semestre sans doute au moins aussi lucratif.
De tels chiffres font vite oublier qu’en mai 2022, Glencore a mis un terme à plusieurs procédures pour corruption et versé quelque 1,3 milliard de dollars US d’amendes et de frais de justice aux autorités judiciaires du Brésil, de Grande-Bretagne et des États-Unis: des dépenses qui ne représentent finalement que 10% des bénéfices du semestre… des clopinettes pour ce géant des matières premières qui avait déjà officiellement réservé 1,5 milliard de dollars pour couvrir ces frais.
Un versement compensatoire accepté en RDC
Peu avant la fin de l’année, Glencore a pu se sortir d’un énième bourbier dans la jungle de ses affaires de corruption. Nagle et consorts ont convenu avec la République démocratique du Congo (RDC) du versement de 180 millions de dollars supplémentaires pour écarter toute revendication liée aux actes de corruption commis par leur entreprise entre 2007 et 2018.
Cet accord éveille toutefois quelques soupçons car il porte précisément une période sur laquelle des accusations de corruption ont été formulées mais pas encore élucidées. Elles concernent notamment les relations entre Glencore et le célèbre milliardaire Dan Gertler. Il y a cinq ans déjà, après les révélations des Paradise Papers, Public Eye avait déposé une plainte pénale contre Glencore et plusieurs personnes physiques auprès du Ministère public de la Confédération. Ce dernier avait fini par ouvrir une procédure relative à cette plainte en 2020. Impossible, à ce jour, de savoir pourquoi les autorités judiciaires suisses n’ont pas pu (ou pas souhaité) conclure les procédures menées en collaboration avec leurs homologues étrangers. Il serait avantageux pour Glencore que cette sombre affaire soit enfin classée car les États-Unis ont promis au géant des matières premières une réduction de 30 millions de dollars sur l’amende infligée si une condamnation devait être prononcée en Suisse sous un an. Ce délai prendra fin au mois de mai.
Le Ministère public en détresse?
Selon Stephan Blätter, nouveau procureur général de la Confédération, si son institution était aux abonnés absents au moment de la conclusion des procédures dans d’autres pays, c’est principalement en raison du droit suisse. Il a notamment déclaré: «[L’amende maximale de 5 millions de francs, ndlr] est un montant ridicule, pour rester poli, et je l’ai déjà fait savoir au Parlement. Notre droit doit être dissuasif. Pour une entreprise qui réalise des milliards de bénéfices, une telle amende ne l’est pas...»
En effet, les 5 millions de francs d’amende prévus pour ce genre d’infractions sont une mauvaise plaisanterie. Selon le Parquet fédéral, il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de parler d’égal à égal avec les entreprises et leurs avocat·e·s. Le Ministère public a cependant prouvé, par le passé, qu’il était tout à fait capable de travailler en coopération avec des autorités judiciaires étrangères pour clore une procédure. Au début du mois de décembre, par exemple, le Ministère public a condamné ABB par ordonnance pénale, et a communiqué à ce sujet presque en même temps que les autorités d’Afrique du Sud et des États-Unis.
Notre vœu, pour cette nouvelle année, est donc tout trouvé: puisse le Ministère public aider Glencore à conclure les affaires de corruption concernant les accords miniers conclus au Congo par l’intermédiaire de Dan Gertler.
Nous souhaitons aussi au procureur général que ses demandes soient entendues au Palais fédéral, et que le droit pénal des entreprises fasse enfin l’objet des réformes nécessaires: «Prenez l’article 102 du code pénal, concernant les décisions relatives à la responsabilité pénale des entreprises. Le montant des sanctions proposées, 5 millions de francs, est ridicule. Cela représente aujourd’hui environ le quart d‘un salaire de manager de deuxième niveau. Ce genre de montant ne fait absolument pas mal au porte-monnaie!»
En effet, la peine maximale en Suisse correspond à 0,04% des 12 milliards de dollars engrangés par Glencore au premier semestre. Une somme qui ridiculise totalement notre système légal, mais qui méprise aussi les victimes de la corruption systématique pratiquée par Glencore: les énormes sommes dépensées en argent sale auraient en effet dû revenir à la population.
«La politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux politiciens.» (Hannah Arendt)
David Mühlemann s’est spécialisé dans le droit pénal économique, notamment dans les domaines de la responsabilité pénale des entreprises et de la lutte contre la corruption. Depuis 2019, il travaille pour Public Eye sur divers dossiers en lien avec le secteur financier et le négoce de matières premières.
Contact: david.muehlemann@publiceye.ch
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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