Glencore plante du gazon artificiel… et enterre sa crédibilité
Oliver Classen, 22 mars 2019
Quand notre éditeur m’a appelé, ce jour-là, j’ai d’abord cru à une plaisanterie. Une célèbre agence de communication lui proposait de relire un chapitre clé du manuscrit de notre livre avant publication «pour vérifier l’absence de toute erreur factuelle». Une démarche d’assurance qualité gratuite et, plus important encore, une mesure de protection pour la maison d’édition et les auteurs. Le donneur d’ordre, affirmait l’agence, disposait en effet de moyens financiers illimités et poursuivait sans relâche tous ceux qui s’avisaient de nuire à sa réputation. Notre livre, publié en 2011 (sans avoir profité de cette généreuse offre de relecture bénévole, bien sûr), avait pour titre «Swiss Trading SA – La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières». Et le mystérieux client de l’agence en question, vous l’aurez sans doute deviné, n’était autre que Glencore.
Dans cet ouvrage de référence sur le secteur suisse des matières premières, un chapitre consacré au numéro un du marché, Glencore, décrit d’ailleurs précisément ce que la société a à nouveau démontré dernièrement: sa culture d’entreprise centrée sur des paris très, très risqués. Mais si Glencore a mauvaise presse, cette fois-ci, ce n’est pas en raison de nouvelles accusations de corruption, de la pollution de rivières ou d’autochtones chassés de leurs terres. Le scandale qui fait le tour du monde depuis que la branche australienne du Guardian l’a révélé il y a deux semaines se rapporte à la tactique de communication la plus ignoble depuis l’invention d’internet: l’astroturfing.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, l’astroturfing n’est pas le nom d’un nouveau sport de glisse spatiale. Il s’agit de la mystification ciblée d’une communauté en ligne, par le biais de messages sponsorisés, postés par de faux activistes et spécialistes sur des pages internet ou sur les réseaux sociaux. Cette méthode doit son nom à la première utilisation détectée de ce type de campagne de désinformation, en 2002, aux Etats-Unis. Monsanto avait alors fait rédiger en masse des commentaires positifs sur son maïs OGM. Ce géant de l’agrochimie aux méthodes agressives produisait à l’époque un gazon artificiel appelé «Astroturf». Comme ce type de manipulation nuit aussi à la crédibilité des véritables mouvements communautaires, c’est le nom de ce gazon synthétique qui a été choisi pour décrire cette méthode perfide.
César lave plus blanc…
Mais en quoi consiste le «projet César» de Glencore, qualifié de «honte nationale» par l’ancien Premier Ministre australien Kevin Rudd, et qui a enterré les derniers restes de crédibilité dont disposait encore ce géant des matières premières, après l’enchaînement des scandales? Depuis le début de l’année 2017, la société zougoise payait une agence de communication londonienne entre 5 et 10 millions de francs par an pour construire et animer un site internet et un groupe Facebook baptisés «Energy in Australia». On y accusait les centrales éoliennes ou solaires de faire augmenter les prix de l’énergie ou de provoquer des coupures d’électricité, tout en vantant les avantages du charbon en tant que source d’énergie plus fiable et moins chère.
Glencore a également fait surveiller des ONG gênantes, comme Greenpeace. L’objectif? Trouver des indicateurs et identifier des angles d’attaque possibles pour discréditer les détracteurs du charbon auprès de l’opinion publique. Glasenberg & Co se retrouvent aujourd’hui dans le rôle de l’arroseur arrosé: leurs activités secrètes et amorales leur reviennent dans la figure à l’image d’un boomerang communicationnel. Et cela, au moment même où l’entreprise a dû céder à la pression de ses investisseurs, qui ont demandé au plus gros pollueur suisse (selon un article paru dans le Blick) de limiter ses extractions de charbon, alors qu’il venait tout juste de renforcer ses capacités en la matière. Une volte-face stratégique qui arrive sur les talons de ce cataclysme pour la réputation de l’entreprise: en matière d’image, difficile de faire pire.
Une popularité 20 000 lieues sous les mers…
Dans un sondage publié récemment par le journal suisse alémanique 20 Minuten, près de 80% des 1’100 participants se sont prononcés en faveur d’une interdiction de l’astroturfing, ou d’une obligation légale de transparence. En revanche, le fait que la première société suisse en termes de chiffre d’affaire ait recours à des méthodes aussi sales n’étonne plus personne, à en croire les commentaires. En effet, Glencore et Monsanto ne semblent pas seulement partager le même style de communication, mais aussi la même cote de popularité. Une image si mauvaise, en fait, que certains n’hésitent pas à faire référence à l’initiative pour des multinationales responsable en la renommant «Lex Glencore». Pour faire plus court, peut-être. Apprécions toutefois cette véritable performance, même pour un secteur ayant une aussi mauvaise réputation que celui des matières premières.
Oliver Classen
«Porte-parole, «spin doctor» et rédacteur, je sais que la vérité est une valeur approchée, et non une question de point de vue. C’est ce qui fait et ce que montre un bon journalisme.»
Oliver Classen est porte-parole de Public Eye depuis plus de dix ans. Il a contribué au livre de référence sur les matières premières et a coordonné plusieurs éditions des Public Eye Awards. Il a travaillé comme journaliste pour différents journaux, dont le Handelszeitung et le Tagesanzeiger.
Contact: oliver.classen@publiceye.ch
Twitter: @Oliver_Classen
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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