Les négociants en matières premières: leaders ou dealers du climat?
Andreas Missbach, 28 janvier 2020
Dans son «rapport de responsabilité», le négociant genevois se félicite de «l’amélioration de la précision des mesures de toutes les émissions dont [il est] responsable.» Dans l’ensemble, celles-ci ont augmenté de pas moins de 26% en 2019 pour atteindre 8 millions de tonnes d’équivalent CO2. 89% des émissions de CO2 de Trafigura provient de la cheminée des navires qui transportent d’un continent à l’autre les matières premières négociées par le groupe.
Quel plaisir de voir une société du secteur très discret des matières premières faire preuve de transparence – et reconnaître que ses émissions ont augmenté de plus d’un quart. Mais regardons de plus près le contenu des navires en question. Dans son dernier rapport d'activité, Trafigura indique que le chiffre d’affaires total du groupe s’élevait à 171,5 milliards de dollars l’année dernière. 65% provenait du négoce de pétrole brut et de produits pétroliers, qui représentaient 292 millions de tonnes. À vue de nez, ces énormes volumes de pétrole ont dû entraîner l’émission de quelque 876 millions de tonnes de CO2, soit plus de 100 fois les émissions officiellement assumées par Trafigura depuis peu.
Comme un dealer qui lutterait contre la toxicomanie
Ma foi, «nous ne faisons que transporter le pétrole, ce n’est pas nous qui le brûlons au final», se dit probablement Trafigura. Cette argumentation, les banques s’en sont longtemps servi: «nous ne faisons que financer». Mais depuis quelques années, les «émissions financées» sont au cœur de la controverse et certaines grandes banques (notamment aux Pays-Bas, mais aucune en Suisse) rendent déjà des comptes à ce sujet.
Pour être un tant soit peu prise au sérieux, Trafigura devrait faire de même et rendre des comptes par rapport à ses «émissions transportées». Sans oublier de se fixer des objectifs concrets pour les réduire. Car dans la transition vers une économie à faibles émissions de CO2, un grand négociant de combustibles fossiles est à peu près aussi utile qu’un dealer dans la lutte contre la toxicomanie.
«Ceux qui vont bien iront mieux, si ceux qui vont moins bien vont mieux» – Mani Matter
Membre de la direction de Public Eye, Andreas Missbach travaille depuis 2001 sur les banques, les négociants en matières premières et la responsabilité des sociétés dans le respect des droits humains. Pas de quoi s'ennuyer car la matière ne manque pas, malheureusement.
Contact: andreas.missbach@publiceye.ch
Twitter: @ahmissbach
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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*Parenthèse historique:
En 1976, La Déclaration de Berne (aujourd’hui Public Eye) lance une action visionnaire: la vente de sacs de jute faits main au Bangladesh. « L’Action Jute » porte quatre messages: du travail pour le Bangladesh, la préservation de l’environnement et de l’énergie, le passage à un mode de vie plus simple et à une autre forme de croissance. Distribués à plus de 250 000 exemplaires, ces sacs symbolisent aussi la lutte à mener face au plastique, déjà désigné comme «l’un des grands gaspilleurs et pollueurs de notre époque».