Boom de la «mode avion» en Suisse
Lausanne, 21 février 2025
La «mode avion»? Une absurdité mais aussi malheureusement une réalité: pour continuer à alimenter la mode éphémère, certaines enseignes transportent par avion des quantités astronomiques de t-shirts, pantalons et chaussures, bien que cette pratique génère des dizaines de fois plus d’émissions de gaz à effet de serre. Public Eye a révélé pour la première fois l’ampleur de ce phénomène en 2023. Nos recherches ont montré comment Inditex (la maison-mère de Zara) a fait de l’aéroport de Saragosse le centre névralgique de sa logistique mondiale. Malgré tous les appels à revoir ses pratiques, le géant espagnol de la mode continue de miser sur la «mode avion», toujours plus selon notre analyse de données. Un documentaire a récemment mis en lumière les conséquences de cette pratique au Bangladesh.
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Un vêtement sur sept arrive directement en Suisse par avion
Jusqu’en 2023, la «mode avion» n’arrivait presque qu’indirectement en Suisse, via Saragosse ou d’autres aéroports de l’Union européenne, mais depuis, les importations directes augmentent rapidement. En 2024, plus de 22'000 tonnes de textiles, de vêtements et d’articles en cuir ont été importées en Suisse par voie aérienne, dont 17'000 tonnes – soit plus des trois quarts – en provenance de Chine.
À l’automne 2024, ces importations ont atteint un niveau record de plus de 2000 tonnes par mois. La seule période pendant laquelle des quantités comparables ont été transportées par avion était le printemps 2020, lors de la première vague de pandémie. Il s’agissait alors de répondre au besoin urgent de vêtements de protection en provenance d’Extrême-Orient.
C’est surtout dans le domaine des vêtements (sans tenir compte des autres articles textiles et de la maroquinerie) que le volume des importations par voie aérienne a explosé au cours des 18 derniers mois. En décembre 2024, 13,9% des vêtements importés en Suisse sont arrivés directement par avion, et même 30,1% de ceux provenant de Chine.
Les détaillants en ligne adorent prendre l’avion
Les conséquences écologiques sont dramatiques: selon le calculateur d’émissions EcoTransIT, le transport d’une tonne de vêtements par avion depuis la plateforme de production de Guangzhou, en Chine, jusqu’à Zurich génère 49 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que le transport maritime des mêmes vêtements vers Gênes suivi d’un transport par camion jusqu’en Suisse.
Le principal moteur de cette évolution est la croissance rapide des parts de marché d’acteurs comme Shein et Temu, qui livrent en quelques jours directement aux ménages suisses des marchandises chinoises à très bas prix. En 2024, le niveau de prix des vêtements transportés par avion depuis la Chine est même tombé nettement en dessous du prix moyen de toutes les importations de vêtements en Suisse. Cela montre que ce ne sont plus principalement les articles chers qui sont transportés par avion, mais surtout la mode à bas prix.
Les vêtements et autres textiles constituent environ 40% de l’ensemble des importations depuis la Chine. Cette catégorie de produits est celle qui a enregistré la plus forte hausse, mais les articles en plastique, les jouets, l’électronique ou encore les articles d’ameublement, dont la promotion se fait surtout sur la plateforme de commerce en ligne Temu, enregistrent également une nette croissance.
En octobre 2024, les importations par voie aérienne en provenance de Chine ont dépassé pour la première fois la barre des 5000 tonnes. La quantité totale en 2024 correspond à la capacité de chargement de plus de 470 avions-cargos, dont environ 170 pour le textile, l’habillement et la maroquinerie.
Des lois pour protéger l’environnement
Cette récente évolution montre clairement que, malgré les nombreuses promesses faites par l’industrie textile, le secteur ne s’engagera pas volontairement sur la voie de la réduction drastique qui s’impose face à la crise climatique. Bien sûr, certaines entreprises font de gros efforts dans ce domaine, mais leurs progrès sont annihilés par la concurrence, qui n'ont aucun scrupule à conquérir des parts de marché au détriment du climat.
Pour commencer à corriger le tir, une première étape concrète consisterait à imposer une obligation de déclaration pour les biens de consommation. Outre le mode de transport, celle-ci instaurerait davantage de transparence concernant d’autres informations sur la durabilité de la production, par exemple à l’aide d’un passeport obligatoire pour les produits. Il faudrait par ailleurs supprimer au plus vite le subventionnement indirect du trafic aérien dû à l’absence de taxation du kérosène ainsi que les exceptions pour les vols extra-européens en matière d’échange de quotas d’émission.
Il est important à cet égard que les mesures législatives ne visent pas uniquement les nouvelles plateformes chinoises, mais qu’elles mettent tous les commerçants et fabricants face à leurs responsabilités. Car, comme le montre l’exemple d’Inditex, les acteurs européens établis de longue date ont un aussi retard considérable à combler sur la voie de la durabilité.