À Zoug, le charbon est un sujet tabou
Adrià Budry Carbó, 19 juin 2023
Il disait avoir vendu la mine de charbon. En février 2022, l’avocat zougois Hans-Rudolf Wild affirmait que le groupe dont il préside le conseil d’administration – IMR Holding, domicilié dans le même immeuble que son cabinet – s’était débarrassé de ses parts dans Borneo Prima. Cette société indonésienne exploite une mine qui produit plus de deux millions de tonnes de charbon par an au cœur de la forêt tropicale de Bornéo. Une zone peuplée d’espèces et de plantes menacées que Jakarta s’était pourtant engagé, conjointement avec la Malaisie et Brunei, à protéger.
En réalité, sous la pression du Bruno Manser Fonds et des questions du média alémanique SonntagsBlick, IMR Holding a transféré ses 49% de participations à une filiale du même groupe, IMR Asia Holding à Singapour, selon les données des registres du commerce indonésien et singapourien que Public Eye a pu consulter.
«Nous ne voyons aucune raison d’en divulguer davantage»
Contacté par Public Eye, Hans-Rudolf Wild se contente de confirmer le changement d'entité juridique, en refusant d'évoquer le pourquoi de la transaction, son timing ou l’éventuel montant de la vente. «D'autres informations dans ce contexte constituent des secrets d'affaires et nous ne voyons aucune raison de les divulguer. Une fois que IMR Holding AG a renoncé à sa participation dans PT Borneo Prima, il n'est plus de son ressort de répondre à vos questions», écrit le prolifique avocat, qui est administrateur, président ou directeur de 45 entreprises (selon le dernier pointage début juin). Pas plus de «ressort» à Singapour, où il ne s’est trouvé personne pour répondre aux questions envoyées à l’adresse e-mail générale enquiries@imr-resources.com.
Étonnament, la filiale IMR Metallurgical est enregistrée sur deux sites à Zoug. À la Dammstrasse 19, son adresse officielle où le groupe dispose encore de sa boîte aux lettres chez le cabinet d’avocats de Hans-Rudolf Wild, et à la Zugerstrasse 74 où est également enregistrée la holding mais où ne se trouve personne pour répondre à l'interphone. Seul point commun: les administrateurs d'IMR ont pris soin de poser un autocollant sur leurs boîtes aux lettres indiquant qu'ils ne souhaitent «pas de publicité».
Refusant de répondre à une longue liste de questions sur l’impact environnemental de la mine de charbon ainsi que sur ses activités d’avocat d’affaires, Maître Wild souligne néanmoins que le groupe IMR, fondé en 2004, n’est pas une société boîte aux lettres puisqu’il compte, aux dires de la société, plus de 4000 employé∙e∙s sur différents sites à travers le monde, dont son centre de négoce zougois. «Vous savez comme nous que d’autres entreprises de matières premières beaucoup plus importantes, qui extraient elles-mêmes des matières premières dans le monde entier, ont leur siège en Suisse, et notamment à Zoug», plaide Hans-Rudolf Wild, du cabinet Schweiger, également ancien président du PLR de la ville de Zoug.
C’est peu dire que le cabinet Schweiger est spécialisé dans les structures complexes. Pas moins de 284 sociétés sont domiciliées à son adresse, parfois directement au nom de Me Wild. Schweiger Law a été fondé en 1976 par un vétéran du PLR, Rolf Schweiger, qui a siégé au Conseil des États de 1998 à 2011. Le quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung, pourtant réputé proche des milieux économiques, a même qualifié de «farouche libéral» ce membre de longue date du conseil d'administration d'Economiesuisse.
En Suisse, la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) ne s'applique pas aux avocat·e·s, notaires, comptables et fiduciaires, ni aux prestataires de services aux trusts et aux sociétés pour leur travail de conseil en matière de création et d’administration de sociétés. Parmi ces cols blancs, on se retrouve parfois à jouer aux ingénieurs corporatistes, offrant aux client.e.s une palette de services comprenant la création de structures complexes destinées à opacifier les flux et préserver l’anonymat des propriétaires effectifs, l’ouverture de comptes bancaires ou encore l’administration des avoirs. Certain·e·s avocat·e·s finissent même par défendre devant les tribunaux des sociétés créées et administrées par leurs propres soins.
Partenaire du cabinet d’avocats zougois Schweiger, Hans-Rudolf Wild est extrêmement bien connecté dans la cité et gère plusieurs mandats pour le compte des autorités locales ainsi que la correspondance de sociétés immobilières et actives dans les matières premières. Sur le site de son cabinet, il se définit comme un pragmatique, apprécié de ses client∙e∙s pour sa «grande capacité à identifier les problèmes» et les orienter vers des «solutions».
Une galaxie pas si lointaine
À quel problème répondait la «solution» du transfert des parts dans la mine de charbon vers IMR Asia Holding? Celui qui est habilité à signer au nom du groupe n’en dira pas plus. À Zoug, IMR Holding – domiciliée à la Dammstrasse 19, tout comme son cabinet – regroupe quelque 25 filiales de la galaxie de cette multinationale active en Indonésie, mais aussi en Inde, au Mexique ou en Colombie. Avec ses filiales, IMR Holding contrôle une bonne partie de la chaîne de valeur, avec l’extraction minière, la transformation et le négoce. Le groupe est par ailleurs représenté, via des entités juridiques, dans une multitude de places financières, à Dubaï ou Pékin, en plus des susnommées Zoug et Singapour.
Preuve que le système tourne autour d’un même astre : l’aciérie qui brûle une partie du charbon de PT Borneo Prima est, elle, toujours en main d’IMR Holding à Zoug. Et le site internet de sa filiale IMR Metallurgical, également sous la présidence de Me Wild, référencie toujours la mine indonésienne parmi ses actifs.
Derrière cet enchevêtrement de sociétés regroupées sous des holdings, on retrouve toujours la figure de l’homme d’affaires Anirudh Misra. Il est actionnaire d’IMR Holding à Zoug et d’IMR Holding Asia à Singapour et est le président directeur de la société PT Borneo Prima qui exploite la mine de charbon.
C’est pour le compte de ce quinquagénaire, ancien du groupe indien Tata Steel, titulaire d’un passeport britannique et désormais domicilié en Irlande, que l'avocat Hans-Rudolf Wild administre les sociétés du groupe IMR. Anirudh Misra ne s’est d’ailleurs pas privé de faire affaire avec son ancien employeur Tata Steel. Dans un communiqué de 2018 et portant sur la cession d’une entité juridique, la filiale indienne ne faisait pas mystère sur les liens entre les différentes IMR: «IMR Asia Holding Pte Ltd, qui est une société du groupe IMR Metallurgical Resources AG ("IMR"), un groupe mondial de métallurgie et d'exploitation minière dont le siège est en Suisse».
Un instagrammer bien influent
À Bornéo, IMR Holding s’était associée à une société locale nommée Pacific Samudra Perkasa, qui détient l'autre moitié de la mine de la mine de charbon (le 1% restant étant aux mains d’un avocat local). Les mouvements au sein de son actionnariat y sont également intrigants. Après la mort du patriarche Hery Gianto, en juin dernier, ses parts ont été réparties peu équitablement entre ses deux fils Hendrick (<99%) et l’aîné Williem Hartono, qui détient une seule action.
Hendrick Hartono, qui est désormais directeur de Pacific Samudra Perkasa, se définit professionnellement comme un «influenceur voyage». Jusqu’à l’envoi de nos premières questions à PT Borneo Prima, son profil Instagram était librement accessible. Le jeune trentenaire y produit une imagerie soignée; posant, la houppette gominée, devant la tour Eiffel ou dans de grands palaces, pour le plus grand plaisir de ses quelque 172 000 followers. La société de l’influenceur est, elle, dépourvue de site internet.