Les licences obligatoires et les mythes qui les entourent

© Karin Hutter/Public Eye
Il existe un instrument peu connu, mais légal et légitime, pour faire baisser drastiquement le prix des médicaments: la licence obligatoire.

L’émission d’une licence obligatoire permet en effet à un gouvernement d’autoriser la commercialisation de génériques moins chers afin de garantir l’accès aux médicaments. Les licences obligatoires font partie intégrante du droit international des brevets. Mais elles sont encore trop peu utilisées car les gouvernements souhaitant y recourir font l’objet de pressions politiques et commerciales majeures.

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Les pharmas ne sont pas les seules à faire pression sur les gouvernements qui veulent recourir à la licence obligatoire. Les pays hôtes des géants de l’industrie pharmaceutique menacent aussi de sanctions politiques et économiques, ce qui décourage souvent les pays du Sud d’utiliser le moyen légitime de la licence obligatoire.

La plupart des pays industrialisés hésitent aussi à utiliser cet instrument, de peur d’aller à l’encontre des intérêts de leur industrie pharmaceutique, dont le modèle d’affaires repose sur les brevets. Ils essaient par conséquent de restreindre la marge de manœuvre accordée par les ADPIC – qui autorise la licence obligatoire de manière très large – en faisant croire que l’instrument ne peut être utilisé que dans des cas d’urgence ou d’exceptions, ou seulement pour certaines maladies comme le VIH/sida.

En collaboration avec la Ligue Suisse contre le cancer, Public Eye a lancé en 2018 une vaste campagne d’information, appelant le Conseil fédéral à utiliser, en Suisse, l’instrument de la licence obligatoire et à cesser toute pression sur les États qui veulent faire ce pas. Le rapport «Protect patients, not patents» explique, en 45 pages, tout ce que vous devez savoir sur les prix excessifs des médicaments, le modèle d’affaire problématique de l’industrie pharmaceutique et les solutions efficaces pour y remédier.

Mythes autour de la licence obligatoire

Les gouvernements des pays industrialisés n’hésitent  pas à discréditer la licence obligatoire en propageant de fausses vérités. Ils affirment par exemple qu’une licence obligatoire équivaut à une expropriation de brevet, qu’elle entraîne le recul des investissements ou qu’elle n’est justifiée qu’en cas d’urgence ou de situations extrêmes.

En réalité, la licence obligatoire n’est pas un instrument disproportionné car le brevet concerné reste en vigueur. En outre, une indemnité financière (sous forme de royalties) est prévue pour le détenteur du brevet, qui peut par ailleurs continuer à commercialiser son produit.

Les firmes pharmaceutiques et les pays qui hébergent les plus grandes d’entre elles prétendent souvent que les licences obligatoires freinent l’innovation et l’investissement en R&D. Cet effet n’est toutefois pas démontré – pas plus d’ailleurs que l’affirmation selon laquelle les brevets stimuleraient l’innovation. Au contraire, l’expérience de plusieurs pays ayant eu recours souvent – et parfois sur de longues périodes – à la licence obligatoire (comme le Canada ou les Etats-Unis) ne montre aucun affaiblissement de l’innovation. Cette expérience montre parfois même une augmentation de l’investissement en R&D. Il n’existe pas non plus de preuves permettant d’affirmer qu’une licence obligatoire met en péril les investissements directs étrangers.

Plus d'informations

  • Mythe n° 1: « Uniquement lors d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence… »

    Réalité…

    …une situation d’urgence n’a comme seule effet que de raccourcir la procédure. Chaque pays peut décider librement du motif à la base d’une licence obligatoire.

  • Mythe n° 2: « …limité à un certain nombre de maladies, telles que le VIH/Sida ou des maladies transmissibles à potentiel épidémique »

    Réalité...

    ... l’usage de la licence obligatoire n’est limité ni à une pathologie en particulier ni à aucune catégorie de maladies spécifique.

  • Mythe n° 3: « …utilisation limitée aux pays pauvres »

    Réalité...

    ... Chaque membre de l’OMC a le droit d’octroyer une licence obligatoire.

  • Mythe n° 4: « Un instrument de dernier recours… »

    Réalité...

    ... L’expropriation du brevet est l’instrument de dernier recours, pas la licence obligatoire.

  • Mythe n° 5: « La licence obligatoire équivaut à une expropriation… »

    Réalité...

    ... Le détenteur du brevet reste son titulaire, il garde le droit d’exploiter l’invention et perçoit une rémunération adéquate.

  • Mythe n° 6: « ont un effet dissuasif sur l’innovation et sur l’investissement en R&D… »

    Réalité..

    ... Il n’existe aucune preuve empirique que les licences obligatoires réduisent les investissements en R&D ou qu’elles ont un impact négatif potentiel sur les investissements directs étrangers.