Le manque de transparence sur les résultats des essais

À cause du manque de réglementations, de contrôles et de sanctions, les résultats de nombreux essais cliniques ne sont jamais publiés, ce qui empêche toute évaluation scientifique et publique indépendante. Cela met non seulement en danger les participant·e·s, mais aussi la santé publique. À la différence de l’Union européenne, la transparence fait cruellement défaut en Suisse.

Alors que les résultats des tests de médicaments effectués sur des personnes volontaires devraient, en toute logique, être restitués à la société, les sociétés pharmaceutiques affirment que ces données constituent un secret industriel et qu’une telle publication permettrait d’identifier les patient·e·s. Mais il ne s’agit là que de prétextes pour protéger leur modèle d’affaires. Contrairement à ces faux arguments, la publication des résultats n’implique pas la divulgation d’informations confidentielles sur la composition ou la production du médicament. Les rapports sont en outre anonymisés et leur publication ne permet pas d’identifier les participant·e·s aux essais. À cause de la réglementation lacunaire et de son application défaillante, les résultats de la moitié des essais cliniques menés dans le monde ne sont jamais publiés. Pire encore, les résultats défavorables sont dissimulés ou enjolivés. Cette publication sélective conduit à la commercialisation ou au maintien sur le marché de médicaments qui ne sont pas bénéfiques pour les patient·e·s, ou qui sont même dangereux. 

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  • Tamiflu ou le virus du profit

    La décision des gouvernements du monde entier, dont la Suisse, de stocker l’antiviral Tamiflu de Roche en prévision de pandémies grippales reposait sur des études isolées dont huit sur dix n’ont jamais été rendues publiques. D’autres résultats d’essais cliniques n’ont jamais été mis en avant par le géant bâlois. Il aura fallu quatre ans d’insistance et une campagne publique orchestrée par le British Medical Journal pour qu’une équipe de recherche du réseau indépendant Cochrane ait enfin accès, en 2013, à l’ensemble des données relatives aux essais cliniques menés par Roche sur le Tamiflu.

    Pour la première fois, des scientifiques ont ainsi pu évaluer l’efficacité et la toxicité réelle du médicament antigrippal du géant pharmaceutique bâlois sur la base d’une documentation exhaustive. Les constats de cette évaluation, publiés en avril 2014, sont clairs: contrairement aux affirmations de Roche, la prise de Tamiflu ne diminue pas le nombre d’hospitalisations ni le risque de complications sérieuses en cas de grippe. Dans le meilleur des cas, les patient·e·s peuvent voire la durée des symptômes grippaux diminuer de quelques heures. Le Tamiflu n’interrompt pas non plus la transmission du virus.

    Or, ce sont précisément ces arguments qui avaient incité l’OMS à recommander aux États ainsi qu’aux grandes entreprises le stockage en masse de l’antiviral lors des crises successives de la grippe aviaire H5N1 (dès 2004) et de la pandémie liée au H1N1 en 2009. Ces fausses promesses ont fait sonner le tiroir-caisse de la firme bâloise. Le médicament a permis à Roche d’engranger d’énormes profits, principalement sur le dos des contribuables.

Par crainte d’une épidémie de grippe, plusieurs États ont fait des réserves du médicament Tamiflu. Des études publiées ultérieurement ont montré que le produit était nettement moins efficace que ce qui avait été présumé.

L’UE montre la voie – la Suisse traîne la patte

Selon l’OMS, l’enregistrement de tous les essais cliniques constitue un devoir scientifique, éthique et moral. Elle appelle à ce que tous les résultats soient rendus publics et accessibles dans les 12 mois suivant la fin d’un essai clinique, qu’ils soient positifs ou négatifs. L’Agence européenne du médicament (EMA) a mis en œuvre une nouvelle politique imposant la publication complète des rapports d’essais cliniques servant de base à une demande d’autorisation de mise sur le marché. La Suisse n’impose quant à elle que la publication, pour la forme, d’un résumé des résultats des essais cliniques réalisés à des fins de développement d’un médicament, et celle-ci n’est pas contrôlée (art. 67b de la Loi sur les produits thérapeutiques, LPTh; art. 71 de l’Ordonnance sur les médicaments, OMéd). De même, seul un résumé des résultats doit être publié dans la base de données des essais cliniques réalisés en Suisse (art. 65a de l’Ordonnance sur les essais cliniques), alors que l’UE prévoit la publication des rapports complets des essais réalisés dans ses pays membres. Outre la possibilité d’obtenir un deuxième avis scientifiquement indépendant, la publication complète des rapports d’essais permet aux médecins de prescrire le bon traitement sur une base solide et fiable.

© Mark Henley/Panos
Seule la moitié environ de tous les essais cliniques réalisés sont également publiés. Cela entraîne une distorsion des résultats.

Secret industriel ou bien public? L’industrie pharmaceutique lutte contre la transparence

Des groupes pharmaceutiques avaient porté plainte contre la réglementation de l’EMA en matière de transparence, affirmant que la publication d’essais cliniques entraînerait la divulgation d’informations confidentielles à des fins commerciales. Les rapports d’essais cliniques doivent permettre une évaluation indépendante de l’efficacité ou de la sécurité du produit testé. Contrairement aux affirmations de l’industrie pharmaceutique, il ne s’agit pas de données confidentielles ni de secret industriel. Les rapports sont en outre anonymisés et leur diffusion ne permet pas d’identifier les participant·e·s aux essais. 

En collaboration avec d’autres organisations de la société civile, Public Eye s’est engagée en faveur de la transparence sur les essais cliniques. La Cour de justice de l’UE a réaffirmé la validité juridique et la légitimité de la réglementation de l’EMA en matière de transparence.