Le plus haut responsable de la protection des données demande aussi la transparence sur les prix des médicaments
En vertu de la loi sur la transparence (LTrans), Public Eye a déposé en janvier 2022 une demande formelle auprès de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) afin d'avoir accès aux décisions d'admission ou de limitation sur la liste des spécialités (LS) concernant dix médicaments anticancéreux parmi les plus chers en Suisse. L'OFSP nous a certes remis les documents officiels demandés, mais de nombreux passages, dont les rabais, sont caviardés.
Public Eye a alors demandé une médiation au Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) et a fourni des arguments expliquant pourquoi ces caviardages étaient infondés et pourquoi les émoluments demandés par l'OFSP étaient trop élevés. Outre l'argumentation de Public Eye et de l'OFSP, le PFPDT dispose également de la communication de l'OFSP avec les entreprises pharmaceutiques concernées. Celles-ci doivent être consultées conformément à la LTRANS (art. 11, al. 1), et ont la possibilité de se prononcer dans un délai de dix jours. Dans sa recommandation en conclusion de la procédure de médiation, le PFPDT conclut que les caviardages effectués par l'OFSP sont injustifiés et que ce dernier devrait permettre à Public Eye d'accéder aux documents demandés et renoncer à percevoir un émolument. (Recommandation paragraphe 76 et 77) L'OFSP refusant de suivre la recommandation du PFPDT, Public Eye peut porter l'affaire devant le Tribunal administratif fédéral (TAF). C'est ce que «K-Tipp» / «Saldo» a récemment fait dans un cas très similaire. Dans l’arrêt qu’il a rendu fin juillet 2023, le Tribunal administratif fédéral a renvoyé à la plainte de «K-Tipp» / «Saldo». Ce qui est particulièrement préoccupant à cet égard, c’est que le tribunal ait repris l’argumentaire des entreprises pharmaceutiques sans le remettre en question, comme le font l’OFSP et le Conseil fédéral.
La recommandation montre comment les entreprises pharmaceutiques exercent une grande pression sur l'OFSP et comment l'autorité a échoué à vérifier de manière indépendante les caviardages demandés par les entreprises. L'OFSP n'a cependant pas pour mission de satisfaire les groupes pharmaceutiques, mais de s'engager pour que la population dispose de médicaments efficaces et abordables et pour que les coûts de la santé diminuent. La transparence garantie par la loi sur la transparence sert à vérifier que les prix des médicaments soient fixés conformément à la loi et dans l'intérêt du public. Si l'OFSP autorise de vastes caviardages par les entreprises, alors il se soustrait à sa responsabilité en matière de contrôle des prix des médicaments.
Dans sa recommandation relative à la procédure de médiation entre Public Eye et l'Office fédéral de la santé publique, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence indique clairement que les prix des médicaments devraient être contrôlés par l’État et que le public devrait avoir un droit de regard sur les négociations. La recommandation montre comment les entreprises pharmaceutiques font pression sur l'OFSP pour qu'il caviarde des informations, ce qui ne sert qu'à maximiser leurs profits. Il est extrêmement préoccupant que l'office fédéral cède à cette pression. Cette situation est symptomatique du déséquilibre de pouvoir entre les autorités et les grandes entreprises. Si le Parlement approuvait les rabais secrets et leur exclusion de la loi sur la transparence, comme le propose le Conseil fédéral, cela serait dramatique pour l'intérêt public.
Pour Public Eye, le PFPDT indique clairement par cette recommandation, d'une part, que les importants caviardages et les émoluments excessifs sont une conséquence du déséquilibre de pouvoir entre les groupes pharmaceutiques et les autorités. D'autre part, il en ressort clairement à quel point il est fondamental que les prix des médicaments soient fixés de manière transparente et publique.
Le pouvoir de négociation de l'OFSP doit donc être renforcé par la transparence et des mesures concrètes, afin qu’il puisse négocier des médicaments efficaces et abordables et que leurs prix excessifs puissent être réduits. Exclure de manière générale certains prix de médicaments de la loi sur la transparence, comme le propose le Conseil fédéral dans la révision actuelle de la LAMal qui sera discutée au Parlement lors de la session d'automne 2023, ferait encore empirer la situation. Car cela signifierait qu'il ne serait plus possible de consulter les informations relatives à la fixation du prix des médicaments, en particulier pour ceux dont le prix est élevé et dont les coûts sont d'un grand intérêt public. Il n'est même plus nécessaire de présenter les documents relatifs au montant, au calcul et aux modalités des restitutions dans le cadre de modèles de prix, car cette exclusion est une disposition spéciale et les informations seraient donc en principe exclues de la loi sur la transparence. Le Parlement doit empêcher ce dangereux précédent dans le domaine des assurances sociales.
Cette confidentialité absolue ne servirait que les intérêts de l'industrie pharmaceutique; le principe de transparence ne doit pas être sacrifié pour cela.
De plus, l'efficacité d'une telle mesure n'est pas prouvée. Les parlementaires ne doivent pas céder à la pression de l'industrie pharmaceutique. Il faut des mesures qui renforcent l'office fédéral au lieu de le décharger à court terme en lui évitant de devoir traiter des demandes du public ou de comparaître devant le Tribunal administratif fédéral. Concrètement, le Parlement doit:
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Amender l'article 52b de la LAMal afin de n’autoriser que des modèles de prix transparents (solution transitoire, en attendant une réforme du système de fixation des prix)
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Biffer l'article 52c LAMal (pas de rabais secrets qui seraient exclus de la loi sur la transparence)
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Biffer l'article 71, alinéa 1b OAMal (Ordonnance sur l'assurance-maladie, le Conseil fédéral a adopté la révision le 22.9.23, entrera en vigueur le 1er janvier 2024)
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Introduire des dispositions en vue d’une réforme du système de fixation des prix (transparence des coûts de recherche, négociation commune de prix avec d’autres pays, etc.)
Le Parlement doit maintenant tenir tête à l'industrie pharmaceutique et à son lobby et faire passer les réformes nécessaires. Ce qui est en jeu, c'est la viabilité financière de notre système de prise en charge solidaire des coûts, qui est déjà sérieusement menacée aujourd'hui.
Plus d'informations
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La recommandation en détail
Les détails de ce que le PFPDT retient dans sa recommandation:
(1) En refusant l’accès public aux montants, calculs et modalités des restitutions dans le cadre des modèles de prix, l’OFSP contredit la position du Conseil fédéral. Le PFPDT indique qu'une base légale fait pour l’instant défaut pour les modèles de prix avec rabais secrets. (Recommandation, par. 2 et 54)
(2) Si l’OFSP décide de refuser partiellement ou totalement l’accès aux documents officiels demandés, il doit prouver que les conditions des articles 7 à 9 LTrans – instituant des exceptions au principe de la transparence – sont réalisées. Or, la position de l’OFSP exprimée dans le cadre de la procédure de médiation apparait clairement infondée.
L'OFSP invoque notamment deux points de l'art. 7 LTrans pour justifier les importants caviardages mais a échoué à prouver que les caviardages opérés dans les documents en question étaient justifiés. Après avoir consulté les tierces parties concernées, comme l'exige la LTrans, l'OFSP doit évaluer de manière indépendante si les caviardages demandés par les tiers sont justifiés. La communication entre l'OFSP et les entreprises pharmaceutiques, telle qu'elle est retracée dans la recommandation, montre certes comment l'OFSP a d'abord encore tenté de réduire les caviardages demandés. Mais le PFPDT constate que l’office fédéral les a finalement repris en majeure partie. (par. 13; voir aussi par. 41 et 47)
(2.1) Les conditions de réalisation des «secrets professionnels, d'affaires ou de fabrication» (art. 7, al. 1g LTrans) ne sont pas remplies.
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Pour que le secret d'affaires puisse être invoqué, les informations doivent aussi être effectivement de nature commerciale. Toutes les informations commerciales ne sont pas couvertes par la notion de secret, mais uniquement les données essentielles dont la connaissance par la concurrence entrainerait des distorsions du marché et conduirait à ce qu'un avantage concurrentiel soit retiré à l'entreprise concerné ou à un désavantage concurrentiel et donc un dommage lui soit causé. De plus, une mise en danger abstraite est insuffisante et la menace d’atteinte doit être grave et sérieuse. (par. 46)
Le PFPDT constate que tous les caviardages ne répondent pas à ce critère. Il souligne que l'OFSP doit évaluer le cas concret de manière indépendante et ne peut pas se contenter, comme dans le cas présent, de reprendre la position de l’entreprise. (par. 47) Selon le PFPDT, on ne peut pas parler d’un intérêt légitime au maintien du secret lorsque les intérêts privés sont en contradiction avec l’ordre juridique. (par. 46) -
Les informations doivent en outre être «relativement inconnues». À cet égard, le PFPDT constate que certaines données de l'OFSP contiennent des indications déjà publiés. Ces passages ne sont donc pas constitutifs d'un secret d'affaires. (par. 51)
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Enfin, le PFPDT évalue si, pour les informations qui pourraient provoquer une distorsion de la concurrence, il existe un intérêt justifié à garder le secret. À ce sujet, le PFPDT précise que les prix des médicaments remboursés par les caisses ne résultent pas du marché libre. Mais ils sont fixés par l‘État à travers l'OFSP et contrôlés à intervalle régulier. L'OFSP a pour mission de négocier les prix les plus bas possibles pour l'assurance de base. Si, dans le cas présent, l'OFSP pouvait invoquer un secret d'affaires de tiers, à savoir des titulaires d'autorisations, cela aurait pour conséquence que son action administrative en matière de formation et de contrôle des prix des médicaments remboursés par les caisses-maladie échapperait à la loi sur la transparence et au contrôle de la population. Alors que la loi sur la transparence sert justement à vérifier si les prix auxquels les médicaments sont fixés en conformité avec la loi et pas à protéger des intérêts économiques qui seraient contraires à ceux du système de santé suisse. (par. 52)
(2.2) Dans un deuxième temps, l'OFSP limite l'accès aux documents en se fondant sur l'entrave à «l’exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs» (art. 7, al. 1b LTrans). L'OFSP estime qu'il a besoin de modèles de prix confidentiels pour atteindre son objectif d'approvisionnement en médicaments pour la population. L'office fédéral affirme que le caviardage des informations à ce sujet serait un moyen proportionné pour atteindre cet objectif. Pour le PFPDT, cette exception ne peut pas non plus être invoquée pour les raisons suivantes:
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Cette exception n'est pas applicable au cas en question puisque les informations demandées portent sur des décisions déjà prises par l'OFSP et que les négociations y ayant menées sont closes. (par. 59)
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Le PFPDT affirme clairement que l’objectif de l’OFSP est de pourvoir en médicaments efficaces et économiques la population et de réduire les coûts de la santé et non de satisfaire les entreprises pharmaceutiques. Selon lui, la réduction des coûts pourrait plutôt être atteinte grâce à davantage de transparence et de coopération internationale. Selon le PFPDT, il est préoccupant que des entreprises pharmaceutiques fassent dépendre implicitement ou explicitement la négociation du contrat du seul fait que I'OFSP se dise prêt à invoquer des exceptions à la loi sur la transparence en cas de demande d'accès. Le fait que l'OFSP cède à de telles menaces limite son pouvoir de négociation et implique un dégât d'image auprès de la population. (par. 60)
(3) Les émoluments exigés par l'OFSP dans le cadre de cette procédure ont également été contestés par Public Eye et font également l'objet de la médiation. Ce point litigieux porte en principe sur la question de savoir si l'OFSP a respecté les étapes procédurales prévues par la réglementation en vigueur, c'est-à-dire si, par exemple, il a communiqué, en respectant les délais officiels, le montant des émoluments à prévoir, ainsi que sur la question du montant maximum possible de ces émoluments. Il s'agit notamment de savoir si Public Eye est considérée comme un média et peut donc bénéficier d'une réduction des émoluments d'au moins 50%. L’OFSP n'ayant pas respecté la procédure en matière de fixation de l'émolument et n'ayant pas tenu compte de la qualité de média de Public Eye, il convient de renoncer à percevoir un émolument. (par. 75)
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L'OFSP n'a pas respecté la procédure en matière de fixation de l'émolument. (par. 68 et 69)
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Le PFPDT constate que l'OFSP a mené plusieurs tours de consultation avec les entreprises concernées au sujet de l'étendue des caviardages alors qu'en fait seule une prise de position dans les 10 jours est en fait prévue pour les tiers concernés; ceux-ci ne peuvent donc pas être mis à la charge de Public Eye. De plus, l'OFSP aurait dans une large mesure repris les propositions de caviardage faites par les entreprises et aurait facturé plusieurs heures pour le temps consacré aux caviardages. (par. 70)
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Du point de vue du PFPDT, Public Eye (étant considérée comme «presse associative») doit être considérée comme un média, car l'organisation publie plusieurs fois par an un magazine, gère un site Internet régulièrement complété par des articles d'actualité et produit un podcast avec des vidéos. Le Public Eye devrait donc bénéficier de la réduction d'émolument prévue. (par. 74)
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