Guerre en Ukraine La Suisse, centrale à charbon de Poutine
Adrià Budry Carbó & Agathe Duparc, collaboration: Robin Moret, Robert Bachmann, 13 juin 2022
Zoug, supermarché du charbon russe. C’est à plus de 5 000 kilomètres du bassin charbonnier sibérien que les capitaines industriels proches du Kremlin ont décidé, à partir du début des années 2000, d’établir leurs holdings et autres branches commerciales. Soit celles chargées d’exporter le charbon produit dans les mines de Sibérie et d’Extrême-Orient. Avec Genève et Lugano, Zoug forme le troisième axe de la «Coal Valley» helvétique.
D’ici au 29 août, l’importation, la vente et l’octroi de services financiers, par exemple de type courtage (négoce), autour du charbon russe sont totalement interdits en Suisse et en Europe. Embarrassant pour Zoug qui constituait, en toute discrétion, la plaque tournante de ces diamants noirs venus de Russie.
Dans un pays qui n’a toujours pas mis en place de task force pour identifier les fonds russes, c’est le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) qui sera chargé de faire appliquer les sanctions. Il ne dispose pourtant pas de décompte officiel du nombre d’entreprises de négoce russes ayant leur siège en Suisse. Sur la base d’un rapport de l’Office fédéral de la statistique, il estime toutefois le nombre de telles sociétés «sous contrôle russe» à 14, comme il nous l’a confirmé. Notre enquête montre que ce nombre est très en dessous de la réalité.
À Berne, «l’impression» des inspecteurs
Selon le décompte de Public Eye, la Suisse compte un total de 240 sociétés inscrites au registre du commerce dans le but de commercialiser, transporter ou offrir des services financiers autour du charbon, du coke ou des énergies fossiles solides. Un nombre important de ces sociétés ont l’accent russe, puisqu’elles sont en mains d’oligarques ou de riches hommes d’affaires ressortissant de ce pays. Comme nous l'avons découvert, les neuf plus gros extracteurs de charbon russe se sont implantés à Zoug ou dans le nord-est de la Suisse au cours des vingt dernières années. Seul l'un d'entre eux a depuis plié bagage.
Rien qu'à Zoug, il existe 52 sociétés charbonnières, dont 12 sont directement contrôlées par des citoyens russes.
Il y en a 25 sur toute la Suisse. Peut-être encore davantage puisque le registre du commerce helvétique ne permet pas de connaître les ayants droit économiques.
Le secteur du charbon est lui-même particulièrement opaque et indique rarement l’origine des produits négociés, souvent dans le cadre de transactions de gré à gré, soit sans passer par une Bourse d’échange. C’est au SECO que reviendra le devoir d’engager des poursuites pénales en cas de violations de la loi sur les embargos qui interdit de signer de nouveaux contrats depuis le 27 avril.
Les peines maximales sont d’un an d’emprisonnement ou 500'000 francs d’amende; et dans les cas graves, 5 ans d’emprisonnement ou 1 million de francs d’amende. Certains cas peuvent être transmis par le SECO au Ministère public de la Confédération. Le SECO dit pourtant avoir «l’impression que les négociants et les intermédiaires financiers sont très attentifs à la mise en œuvre des sanctions».
En ce jeudi 28 avril, à quatre mois de l’entrée en vigueur totale de l’embargo, alors que le mastodonte Glencore tient son assemblée générale au casino-théâtre de Zoug, la plupart des bureaux de ces vendeurs de charbon russe sont éteints ou semblent fonctionner au ralenti. Un calme qui contraste avec les grandes manœuvres administratives en cours, les sociétés se pressant de révoquer leurs administrateurs russes et les propriétaires sous sanctions prenant leurs distances. Aucune entreprise n’a pour l’heure déposé le bilan, confirme le département cantonal de l’économie, qui rappelle les difficultés à cartographier le secteur.
La Suisse – un poids lourd du négoce mondial du charbon
Représentées par un simple bureau dans une tour impersonnelle ou une petite plaque dans une allée de boîtes aux lettres, ces sociétés zougoises font en réalité partie des plus grands mineurs de Russie. Ces entreprises rivalisent avec Glencore sur le marché du charbon et négocient, depuis le territoire helvétique, 75% des 212 millions de tonnes de charbon russe exportées, selon les estimations de Public Eye basées sur les données des mineurs. La Suisse, qui s’est engagée lors de la Conférence climatique de Glasgow (COP26) à l’automne dernier à «renvoyer le charbon aux livres d’histoire», est un poids lourd mondial de son commerce.
Dans le triangle charbonnier formé par Zoug, Lugano et Genève, on distingue trois profils types de sociétés:
- Les extracteurs russes qui produisent le charbon depuis les mines de Sibérie et d’Extrême-Orient et le commercialisent via leurs bureaux installés principalement sur la Baarerstrasse de Zoug, sans que celui-ci ne franchisse jamais les frontières suisses.
- Les purs négociants qui commercialisent le charbon vers les marchés Atlantique et Pacifique. Les Russes y sont surreprésentés, mais une grande opacité règne autour des ayants droit économiques de ces sociétés apparues à Genève, Lugano ou Zoug.
- Les banques suisses qui, malgré leurs promesses, continuent de financer la «Coal Valley». Les sommes engagées, de plus en plus masquées dans leurs registres comptables, ont augmenté de façon continue depuis les accords de Paris en 2016.
Les extracteurs, cette suie venue de Russie
Dans le monde de plus en plus fermé des charbonniers, c’est sans doute Glencore qui prenait le plus de lumière. La multinationale de Baar, dans le canton de Zoug, a produit 103,3 millions de tonnes de charbon en 2021, et elle en a commercialisé encore 67,7 millions de tonnes achetées auprès de tiers, notamment russes comme la société KTK (voir galerie ci-dessous). L’un de ses représentants n’a pas souhaité indiquer la provenance du charbon négocié par la multinationale ni si elle a informé ses partenaires russes qu’elle cessait d’exécuter les contrats en cours à fin août. Glencore est le plus gros exportateur de charbon au monde, hors compagnies étatiques. Mais en réalité, une autre société basée en Suisse lui dispute sa couronne de roi du charbon.
C’est la Société d’énergie et du charbon de Sibérie, plus connue sous son acronyme SUEK. Fondé en 2001 par le milliardaire russe Andreï Melnichenko (résidant en Suisse au moins jusqu’avant les sanctions), le premier producteur de charbon russe a sorti de terre 102,5 millions de tonnes de charbon en 2021, plus 17 millions de tonnes achetées à des sociétés tierces. Celui qui refuse qu’on le qualifie d’oligarque, affirmant n’avoir bénéficié d’aucun appui politique pour bâtir sa fortune, a domicilié en décembre 2004 sa société chez une fiduciaire saint-galloise, puis a déménagé la holding et branche commerciale de SUEK dans un bureau de la Baarerstrasse zougoise qui partage son entrée avec la Banque cantonale de Zoug. Au 8 mars, jour de ses 50 ans, Andreï Melnichenko s’est empressé de faire de sa femme la bénéficiaire du trust qui détient SUEK, afin d'éviter les sanctions. Une manœuvre considérée comme «légale», comme nous l’a confirmé le SECO, car réalisée un jour avant l’imposition des sanctions par l’Union européenne. «Ni l'entreprise ni l'épouse n'ont été sanctionnées à ce jour (1er juin 2022)», ajoute son porte-parole, évoquant également le «maintien des emplois en Suisse». Reste que les fonctionnaires devraient désormais s’assurer que ni SUEK ni Madame ne verse de «valeurs patrimoniales» à Monsieur Melnichenko, son mari avec qui elle est imposée en Suisse. «Le SECO contrôle ceci», assure son représentant sans donner plus de précisions. Cette difficile tâche n’est heureusement plus d’actualité. Madame Melnichenko a en effet été placée sous sanctions européennes deux jours après cet échange et, le 10 juin, la Suisse a décidé de reprendre le sixième paquet de sanctions de l’UE, la plaçant donc aussi sur liste noire, aux côtés de son mari.
Zoug, la ville carbone
À l’ombre du mastodonte SUEK, d’autres grands producteurs russes se sont installés à la même période. Leur point commun? Ils sont tous pilotés par des hommes d’affaires «self-made-men» qui cultivent la discrétion et entretiennent des liens étroits avec le Kremlin. Parmi eux: Kolmar LLC n’a même pas pris soin de poser une plaque en laiton dans l’immeuble rempli de sociétés boîtes aux lettres qu’elle occupe avec sa société de trading KSL AG enregistrée à Zoug en 2016. La société est pourtant l’étoile montante du charbon russe. Comme l’a révélé le média d’investigation russe Agents, son actionnaire majoritaire était, au moins jusqu’en 2018, la petite cousine de Vladimir Poutine, mariée au gouverneur de la région charbonnière de Kemerovo.
Les données que nous avons compilées révèlent que, pour ces sociétés minières russes (lire leurs portraits ci-dessous), la production annuelle de charbon imputable à Zoug (et Appenzell pour SDS) atteint 226,2 millions de tonnes en 2021. En réalité, parmi les neuf plus gros producteurs de charbon de Russie, seul un n’affiche plus de présence physique en Suisse. Il a plié bagage après avoir longtemps bénéficié des douceurs helvétiques. C’est le cas du producteur de charbon sibérien Kubassrazrezugol (propriété du géant UGMK), qui avait été le premier à miser sur la Suisse avec sa filiale appenzelloise Krutrade AG, ouverte de 1998 à 2005.
Contactés, aucun de ces extracteurs russes n’a répondu à une liste détaillée de questions concernant leurs filiales suisses, leurs exportations charbonnières ou leur stratégie en vue de l’entrée en vigueur de l’embargo. Par ailleurs, du côté de Zoug, on dit ne pas avoir connaissance d’une quelconque procédure de mise en faillite. Dans un pays qui a fermé sa dernière mine de charbon en 1947, la nouvelle «Coal Valley» helvétique symbolise à elle seule la puissance et la résilience de la plus nocive des énergies fossiles. Le charbon représente actuellement 40% de l’augmentation des émissions de CO2 au niveau global.
Du point de vue logistique, le territoire helvétique ne voit pourtant jamais passer la majorité du charbon produit en Russie. En Europe, son principal débouché, il a deux portes d’entrée. Par la voie maritime (37 millions de tonnes par an), le charbon est convoyé sur de larges vraquiers, déchargé dans les ports du nord de l’Europe (Amsterdam, Rotterdam et Anvers) puis acheminé vers l’Allemagne sur le Rhin. Par la voie terrestre (environ 8 millions de tonnes par an), le charbon est directement convoyé par train de la Russie vers la Pologne.
Les négociants: rendre accro aux diamants noirs russes
«Un diamant est un morceau de charbon qui a bien réagi à la pression.» On attribue cette citation à Henry Kissinger, le secrétaire d’État états-unien de l’ère Nixon-Ford (1973-1977). Douteuse du point de vue géologique, l’allégorie constitue néanmoins un bon narratif. La plus polluante des énergies fossiles n’a jamais autant brillé sur les marchés. La sortie de la pandémie, la relance, la guerre en Ukraine, le renchérissement du gaz: tout semble gonfler les cours, qui ont triplé en l’espace d’un an. En 2022, nous n’aurons jamais consommé autant de charbon dans toute l’histoire de l’humanité.
Malgré la mise en place progressive de l’embargo sur le charbon russe, la Russie pourrait continuer de profiter de la hausse des cours. À condition de trouver des acheteurs. Certains mineurs vantent désormais sur leur site le «prix record» du charbon russe pour les importateurs étrangers, au vu de la «hausse du dollar et de l’euro». Avec une production annuelle de 460 millions de tonnes, les réserves du pays (les deuxièmes mondiales) lui permettraient de poursuivre l’extraction pendant plus de 400 ans, selon le rapport 2021 de BP. Ne dit-on pas que les diamants sont éternels? En Russie, personne ne semble s’y être trompé.
Dépendance européenne
L’Europe est fortement dépendante de ces mineurs russes qui lui livrent 68% de ses besoins en charbon. «Le grand défi c’est de remplacer 45,4 millions de tonnes», résume Alex Thackrah, analyste du marché européen du charbon pour Argus Media, l’agence de référence qui établit les indices de prix sur les marchés au comptant. «Il est très difficile de savoir ce qui va se passer pour les contrats établis avec des sociétés russes, admet le spécialiste. Cela va être un cauchemar.» La tâche devrait être herculéenne pour la Suisse, qui s’est muée en carrefour des énergies fossiles russes.
Notre pays ne s’est pas non plus débarrassé du roi charbon pour sa consommation intérieure. La Suisse a importé, en 2020, 9 904 tonnes de charbon russe, soit environ 7% du total des importations (près de 139 000 tonnes). L’année précédente, les importations de Russie avaient atteint un record avec 10,7% du minerai consommé en Suisse. Sur le plan global, le charbon représente toujours 36% du mix énergétique mondial.
Le Far West du charbon
En Russie, le secteur bénéficie d’une aura particulière, avec ses hommes d’affaires à poigne et son lot de catastrophes minières. Il a vu naître une kyrielle d’ascensions fulgurantes et de changements brusques de propriétaires, teintés de controverses, de liaisons dangereuses avec le pouvoir et d’épisodes sanglants jamais éclaircis (lire ci-dessous).
Le plus récent: la mort de Dmitry Bosov, actionnaire majoritaire de Sibanthracite Group, installé à Zoug, retrouvé dans sa villa moscovite en mai 2020 avec une balle dans la tête, et un pistolet reposant à côté de lui. La version officielle parle de suicide «sans cause connue». «Ceux qui ont connu Dmitry Bosov ne croient pas que quelque chose pourrait avoir brisé l’entrepreneur qui a survécu aux guerres de l'aluminium», avance un article reproduit sur le site de la compagnie. Quelques semaines auparavant, Bosov avait publiquement rompu avec l’un de ses partenaires, Alexandre Isaev, l’accusant de détournements de fonds, comme le rapporte le quotidien russe Kommersant. En octobre 2021, Sibanthracite Group a été racheté par Albert Avdolyan, le nouvel homme fort du charbon russe, et l’ancien partenaire de Bosov a été réintégré au conseil d’administration.
Le lifting de Vladimir Poutine
Après la chute de l’URSS, au début des années 1990, le charbon russe – tout comme le reste de l’industrie minière – a connu une descente aux enfers: accidents, salaires impayés, conditions de travail désastreuses et grèves sont alors le quotidien des travailleurs. Le secteur a besoin d’un lifting complet, souffrant de coûts de revient plus élevés en raison des larges distances à parcourir entre les mines, les centres de traitement et les consommateurs finaux. Avec l’appui des gouverneurs locaux et de soutiens au Kremlin, les directeurs des gisements et des mines s’allient avec de jeunes gens au profil varié pour privatiser les morceaux les plus appétissants.
Au début des années 2000, des empires se constituent sur fond de corruption généralisée et de règlements de compte mafieux. Les sites les moins rentables sont fermés, le pays se tourne vers l’exportation, et la production se concentre progressivement autour d’une dizaine de sociétés. C’est à cette époque que le futur milliardaire Andreï Melnichenko, à travers la banque MDM dont il est cofondateur, achète à tour de bras des participations dans les principales compagnies charbonnières du pays, regroupées au sein de SUEK. Dont le géant «Krasugol» (la société d’exploitation de charbon de Krasnoïarsk), tombé dans son escarcelle après diverses péripéties, et avec l’aide du gouverneur de l’époque : le très médiatique général Alexandre Lebed, alors pressenti pour remplacer le président Boris Eltsine.
Vladimir Poutine prend rapidement conscience du potentiel du secteur, tandis que les cours du charbon explosent entre 2007 et 2010. En janvier 2012, alors Premier ministre, il signe un vaste programme de développement de l’industrie à 119 milliards de dollars – dont 8,5 milliards de fonds publics – destiné à améliorer les infrastructures (surtout le transport ferroviaire et maritime) et booster la production de charbon d’ici à 2030. Sans complexe, le Kremlin apporte depuis 2019 son soutien actif à de grands projets d’exploitation du charbon en Arctique.
En parallèle, sur le plan mondial, le charbon passe par un double processus de commoditisation (le fait qu’il s’échange de plus en plus sur les marchés internationaux) et de financiarisation. «Pendant des décennies, le charbon a été extrait et consommé proche de son site de production», se souvient ce négociant qui affiche plus de vingt ans d’expérience dans le secteur. Mais après les chocs pétroliers des années septante, le charbon a commencé à s’échanger comme alternative sur les marchés internationaux. Quelque 150 millions de tonnes de charbon thermique sont commercés en 1980, dix fois plus aujourd’hui. Les premiers produits financiers débarquent, eux, autour de 2003 et 2004, avec l’arrivée d’une multitude d'intermédiaires financiers (les traders).
Cette double tendance a permis de profiler la Suisse en tant que hub du négoce. Alors que la Russie place ses pions pétroliers à Genève, ses mineurs de charbon choisissent Zoug, son imposition différenciée pour les sociétés étrangères (jusqu’en 2020) et ses intermédiaires financiers proposant une domiciliation facilitée dans un cabinet de la Baarerstrasse. Dans le secteur, on préfère évoquer la tranquillité de la localité et la «tradition de stabilité et d’État de droit du pays».
Conséquence: la Suisse compte un minimum de 25 sociétés charbonnières en mains russes (la moitié à Zoug, 5 à Genève), dont 18 purs négociants, qui sont chargées d’écouler les 212 millions de tonnes annuelles d’exportation vers l’Europe et les marchés asiatiques. Au vu de l’opacité du secteur, il n’existe aucune source pour documenter de façon systématique combien de cargaisons de charbon russe sont revendues à des négociants suisses.
À la mine, les banques suisses!
Alors que la Suisse, par la voix de sa ministre de l'Environnement et de l'Énergie Simonetta Sommaruga, dénonçait le 15 novembre 2021 le torpillage de la sortie du charbon par la Chine et l’Inde lors de la COP26, la «Coal Valley» continuait à travailler pour attirer sur son sol les plus gros pollueurs de la planète. Du côté de Zoug, on souligne n’avoir jamais voulu faire de l’œil aux entreprises russes de «manière ciblée», mais on pointe du doigt la concurrence cantonale: «Contrairement à d’autres organisations de promotion économique, nous n’avons jamais eu d’activité propre ou même physique en Russie», soutient le responsable du département local de l’économie.
Dans ce marché de dupes, les banques suisses figurent également au premier rang.
Nous avons retracé les flux financiers des multinationales du charbon depuis la mise en place des accords de Paris en 2016. Les producteurs de charbon établis sur le territoire helvétique ont levé près de 2,7 milliards de dollars auprès de dix établissements bancaires suisses, selon les données fournies par le cabinet de recherche néerlandais Profundo.
Sibanthracite et SUEK pointent même parmi les sociétés minières les plus gourmandes en capital de la «Coal Valley» helvétique: à la 3e et 4e place (derrière Trafigura et Glencore), avec respectivement 224 millions de dollars et 145 millions prêtés par Credit Suisse entre 2017 et 2019. Malgré ses engagements à ne soutenir que les entreprises ayant une stratégie de sortie du charbon, la deuxième banque de Suisse est également le principal bailleur de fonds du secteur avec près de 1,4 milliard de dollars engagés entre 2016 et 2021, et le dixième au niveau mondial, selon nos données. Le service média de Credit Suisse a affirmé ne pas pouvoir «pour des raisons légales» s’exprimer sur de potentiels clients, et a renvoyé vers son rapport de durabilité concernant sa stratégie de désinvestissement du charbon. Celui-ci prévoit, d’ici à 2025 un arrêt des prêts aux sociétés qui génèrent plus de 15% de leurs revenus de l’extraction de charbon thermique ou de la production d’électricité à partir du charbon, «à moins qu’elles ne soutiennent la transition énergétique». Ce taux sera abaissé à 5% en 2030.
À l'âge de l’Anthropocène – soit l’ère géologique à partir de laquelle l’être humain est capable de modifier significativement et à long terme son écosystème –, le charbon n’a jamais été aussi mondialisé, financiarisé et intégré dans une chaîne de valeur internationale où la Suisse tient l’un des premiers rôles. Un coup d’œil aux émissions «indirectes» de CO2 le confirme. En ne tenant compte que de la production reportée des extracteurs russes, soit 226,2 millions de tonnes, les émissions suisses devraient augmenter de quelque 407 millions de tonnes de CO2 par an. Ce qui représente la pollution de 88,5 millions de voitures individuelles, 14 fois le parc automobile suisse.
Et cela pourrait encore empirer. Les difficultés sur le marché du gaz (dont le charbon est le substitut le plus direct pour produire de l’électricité) et la montée continue des cours des diamants noirs devraient sans doute confirmer des vocations charbonnières. Pour Alex Thackrah d’Argus Media, il est impensable de combiner transition énergétique et mise en place de sanctions effectives sur les énergies fossiles russes, tout en assurant la sécurité énergétique: «Il est possible de remplacer les volumes de charbon russe mais ce sera exceptionnellement compliqué si le gaz est coupé simultanément.»
Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février dernier, les sociétés russes ont facturé à l’Union européenne quelque 1,5 milliard d’euros pour leur charbon, selon le centre de recherche finlandais Crea. Une partie de cette somme s’est arrêtée à Zoug. Invoquant le manque de statistiques, le canton n’a pas souhaité communiquer sur le rendement fiscal des diamants noirs de Poutine.
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Méthodologie
Les profils des sociétés minières russes ont été réalisés grâce à des données publiques comme les registres du commerce, la liste Forbes des 200 plus riches de Russie, des articles de médias internationaux et russes comme Agents, Kommersant ou Novaya Gazeta. La liste du secteur du charbon en Suisse a été obtenue à travers un «scraping» des données des 23 registres du commerce cantonaux. Celle-ci a ensuite été épurée des faux positifs. La part du charbon russe négociée en Suisse a été calculée en additionnant la production charbonnière des mineurs, au prorata de leurs exportations. Contactés, aucun des extracteurs russes, n’a répondu à une liste détaillée de questions concernant leurs filiales suisses, leurs exportations charbonnières ou leur stratégie en vue de l’entrée en vigueur de l’embargo.
Galerie des extracteurs russes
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SUEK
Plus gros producteur de Russie, SUEK génère plus de 60% de ses 9,7 milliards de chiffre d’affaires grâce au charbon. Le groupe produit plus de 100 millions de tonnes par an sur 19 mines à ciel ouvert dans six régions de Russie. Il vend aussi du charbon acheté à d’autres producteurs. Son bureau à Zoug est aujourd’hui sa seule structure hors de Russie.
Quels liens avec la Suisse?
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Suek AG, Suek Assets Holding AG et Suek Logistics GmbH, domiciliées au 37 Baarerstrasse, à Zoug.
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Suek AG est installée à Zoug depuis 2004. Le groupe y organise la vente de charbon de Sibérie vers le marché Atlantique, son principal débouché.
Qui possède SUEK?
SUEK est en mains du plus «suisse» des oligarques. Résident à Saint-Moritz au moins jusqu’à l’imposition de sanctions, Andreï Melnichenko est aussi propriétaire du producteur mondial d’engrais EuroChem, domicilié à la même adresse zougoise. Au 8 mars, afin d’éviter les sanctions, il a transféré ses parts (il détenait fin 2021 encore 92,2% via des entités juridiques) à sa femme, l’ex-mannequin yougoslave Aleksandra Melnichenko. Celle-ci a été placée sous sanctions européennes le 3 juin 2022.
Après la chute de l’URSS, l’oligarque fait ses premières armes comme cambiste dans un bureau de change moscovite, puis il cofonde la banque MDM en 1993. Il se lance alors dans trois nouveaux secteurs: les engrais et fertilisants, le charbon et la fabrication de tubes pour les pipelines et gazoducs au travers de TMK.
C’est en vendant ses parts dans TMK, après son entrée en bourse en 2006, que Melnichenko a constitué une part conséquente de son capital. Son porte-parole fait savoir que «Andreï Melnichenko est un entrepreneur self-made (…)». Sa fortune était estimée par Forbes en 2021 à 16,65 milliards de francs.
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SDS
SDS ou «Sibirskiy Delovoy Soyuz» (Union commerciale de Sibérie) est un groupe diversifié actif dans l’industrie chimique, l’ingénierie ferroviaire, la construction et l’agriculture. Mais son activité première reste la production de charbon à travers sa filiale SDS-Ugol. Le groupe produit 27 millions de tonnes par an, dont 97% sont exportées selon son site internet. C’est le troisième producteur de charbon de Russie.
SDS dispose d’un terminal portuaire dans l’Extrême-Orient, mais achemine aussi son charbon, via Mir Trading, par rail vers le port de Riga.
Quels liens avec la Suisse?
- MIR Trade AG, Alte Haslenstrasse 5, à Teufen (AR), domiciliée en février 2000.
- Parmi les premiers producteurs de charbon russes, seul SDS-Ugol s’est un peu éloigné du canton de Zoug. Selon Argus Media, c’est au travers de «son bras commercial» MIR Trade que le groupe russe exporte la totalité de sa production.
Qui possède SDS?
L’oligarque Mikhail Fedyaev est le propriétaire de SDS avec 95% des parts. Son associé historique, le politicien Vladimir Gridin, député de la Douma (la chambre basse du parlement russe) aux couleurs du parti du Kremlin Russie Unie, lui a vendu ses 62% de parts en 2021.
Mikhail Fedyaev est actuellement en prison en attente de son jugement pour «abus de pouvoir», à la suite d’un accident, en novembre 2021, dans la mine de Listvyazhnaya (région du Kouzbass). Une explosion avait alors fait 51 morts. Vladimir Poutine lui avait publiquement demandé des comptes. Fedyaev, qui plaide non coupable et dit n’avoir jamais économisé sur la sécurité, risque une peine de dix ans de prison.
À la tête d’une fortune de 550 millions de dollars selon Forbes (2020), Fedyaev a commencé comme mécanicien dans une usine automobile. Il rencontre Vladimir Gridin dans les années 1990 et, avec le soutien du gouverneur de l’oblast de Kemorovo, Aman Tuleev, les deux hommes s’attribuent une mine de charbon.
Le fils de Mikhail Fedyaev, Pavel, est devenu en 2011 député de la Douma sous les couleurs du parti de Vladimir Poutine. Depuis, il a été réélu à deux reprises.
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Evraz
Evraz est une entreprise sidérurgique et minière intégrée verticalement, cotée à la bourse de Londres, avec des actifs en Russie, au Kazakhstan, aux États-Unis, au Canada et en République tchèque. Elle possède des actifs dans le charbon via la mine de coke Raspadskaya (à Kemerovo, en Sibérie occidentale) dont le groupe détient 82% du capital. En 2010, un explosion dans cette mine avait fait 91 morts et 99 blessés. La production de la mine de Raspadskaya a atteint 23,27 millions de tonnes en 2021.
Avant la guerre en Ukraine, la société avait pour objectif de séparer ses actifs charbonniers du groupe Evraz. Mais cette opération a été annulée.
Quels liens avec la Suisse?
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East Metals AG, Baarerstrasse 131, à Zoug. Elle a été enregistrée en 2002. Filiale à 100% du groupe Evraz, elle est la branche commerciale par laquelle sont distribués les produits du groupe vers le monde entier (hormis les pays de la CEI), dont du charbon à coke. East Metals AG vend le charbon de la mine de Raspadskaya.
Qui possède Evraz?
Frappé par les sanctions, l’oligarque Roman Abramovitch est le principal actionnaire d’Evraz (28,6%), aux côtés d’Alexander Abramov (19,3%). Abramovitch est connu du grand public pour avoir été le propriétaire du club de football Chelsea FC. Il appartient à ce petit groupe d’oligarques qui ont financé la réélection du président Boris Eltsine en 1996. À cette période, l’État russe, au bord de la faillite, met aux enchères des participations dans les entreprises les plus juteuses du pays en échange de prêts. C’est ainsi qu’Abramovitch entre au capital du pétrolier Sibneft. En 2005, Sibneft est vendu à Gazprom (devenant Gazpromneft), permettant à l’oligarque d’empocher 13 milliards de dollars. C’est sur la base de cette fortune qu'Evraz, dont Abramovitch détient alors 57,5%, peut continuer à prospérer.
Pour conserver son statut d’oligarque, Abramovitch (détenteur de passeports russe, israélien et portugais) a dû contribuer aux projets politiques de Vladimir Poutine. Élu gouverneur de la Tchoukotka en 2000, il a dû investir des milliards de roubles dans cette région très pauvre de l’extrémité nord-est de la Russie. Sa fortune est estimée à 13,48 milliards de francs suisses (Forbes 2021).
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Sibanthracite Group
Fondé en 2018, de l’union de plusieurs petits producteurs sibériens (dont l'éponyme Siberian Anthracite JSC), ce groupe ultraspécialisé tire son nom de l’anthracite (aussi appelé «Black Coal») qu’il mine dans cette région. Avec sa haute teneur énergétique et son faible taux d’impuretés, cette qualité de charbon est destinée à l’industrie métallurgique.
Sibanthracite Group a extrait 22,6 millions de tonnes de charbon en 2021 et revendique la première place dans la production et l’exportation d'anthracite. La société possède trois mines à ciel ouvert dans la région de Novossibirsk (Sibérie occidentale), ainsi que deux mines au Kemerovo (également à l’ouest de la Sibérie).
Quels liens avec la Suisse?
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Sibanthrancite Overseas AG, 10 Baarerstrasse, à Zoug. Domiciliée en 2009, cette filiale est destinée à l’exportation du charbon et fait du «commerce de matières premières de toutes sortes, notamment de charbon (…), à l'exception des opérations interdites par les autorités compétentes», selon sa raison sociale.
Qui possède Sibanthracite Group?
C’est l’oligarque Albert Avdolyan qui a acquis, via la Holding Siban en 2021, 70% des parts de ce producteur de charbon. Cette transaction s’est élevée à 1 milliard de dollars. Sibanthracite Group devrait garder sa raison sociale.
L’autre actionnaire est Maxim Barskiy. Cet homme d’affaires russo-arménien de 52 ans est longtemps resté peu connu, malgré sa capacité à engloutir toutes sortes d’actifs dans les télécommunications, les mines, le charbon et le gaz. Selon Forbes, sa fortune atteignait 1,3 milliard de dollars en 2021. En 2016, il a acquis la nationalité maltaise grâce au programme des passeports dorés.
Sibanthracite vient ainsi s’ajouter à l’empire charbonnier d’Albert Avdolyan, faisant de son groupe, A-Property, le plus grand producteur de charbon métallurgique de Russie. Avant lui, c’est le milliardaire Dmitry Bosov, à la tête du groupe Alltech, qui en était propriétaire. Son mystérieux suicide, en mai 2020, a fait couler beaucoup d’encre dans les médias russes.
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Elga Coal
En mains de A-Property LLC, Elga Coal Complex est depuis 2011 l’un des plus gros sites miniers de Russie. Situé en Yakoutie (Est de la Sibérie), il a l’avantage d’être géographiquement plus proche des marchés asiatiques que le traditionnel bassin minier de Kouzbass. D’ici à 2035, les propriétaires du site espèrent atteindre une production annuelle de 45 millions de tonnes de charbon de coke consacré à l’industrie (18 tonnes actuellement). Soit près d’un quart des exportations actuelles de charbon, toutes qualités confondues.
L’extension d’une ligne de train privée de 321 km depuis la mine Elga vers Ulak, proche de la frontière chinoise, devrait favoriser la réorientation des exportations russes vers le marché asiatique.
Quels liens avec la Suisse?
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Elga Coal Overseas, Baarerstrasse 137, à Zoug, enregistrée en juin 2020
Qui possède Elga Coal?
En avril 2020, A-Property, le groupe du milliardaire Albert Avdolyan, a acquis 51% d’Elga auprès de la société Mechel, fortement endettée, en mains d’Igor Zyuzin. Six mois plus tard, le reste du capital (49%) a été racheté auprès de Gazprombank (participation obtenue lors d’une restructuration de la dette de Mechel en juin 2016).
Un an après cette transaction, Avdolyan aurait transféré 5 % de ses parts à la société d’État russe de fabrication de matériel militaire Rostec, dirigée par Sergueï Tchemezov. Cet ancien du KGB intime de Vladimir Poutine est, selon les médias russes, l’un des protecteurs de l’oligarque russo-arménien. Avdolyan, qui a commencé sa carrière dans les télécommunications, s’est spécialisé dans le rachat à bas coût des entreprises en restructuration. Dès 2019, il jette son dévolu sur le secteur du charbon bien décidé à constituer un empire.
Nommé fin mai 2020, c’est Aleksandr Isaev, ancien partenaire du magnat du charbon Dmitri Bosov, qui dirige les affaires courantes d’Elga Coal Complex et apparaît aussi parmi les administrateurs de la filiale zougoise depuis juillet 2021.
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Kolmar
Fondée en 2004, Kolmar LLC (sans relation avec l’autre zougois Kolmar Group AG) est l’étoile montante du secteur minier russe. Elle ouvre de nouvelles mines, construit des usines de transformation et des infrastructures de transport. Kolmar s’est spécialisée dans le charbon de coke, à usage industriel.
Cinquième exportateur de Russie, Kolmar prévoit de porter sa production à 16 millions de tonnes d’ici à 2023 (12 millions actuellement). Dans son ascension, le groupe a bénéficié de nombreux soutiens étatiques, comme du fonds pour le développement de l'Est de la Russie (38,5 millions de dollars), des prêts préférentiels et d’importants rabais fiscaux. Selon le média russe d’investigation Agents, Kolmar aurait reçu un minimum de 141 millions de dollars (11 milliards de roubles) de fonds publics.
Pour aider Kolmar à exporter son charbon de ses mines de Yakoutie (Extrême-Orient russe) vers les prometteurs marchés asiatiques, le Kremlin a aussi investi lourdement dans la rénovation de deux lignes de chemin de fer (BAM et Transsibérien).
Quels liens avec la Suisse?
- KSL AG, Bahnhofstrasse 12, Zoug, domiciliée en 2019
- Jusqu’en 2021, la discrète KSL AG assurait de manière exclusive la vente du charbon produit par la maison-mère Kolmar en Russie. Le site du trader zougois affirme, dans un communiqué de presse, que ce lien a été rompu il y a un an, refusant de s’exprimer sur les bénéficiaires économiques ultimes pour «des raisons de sécurité».
Qui possède Kolmar?
Le groupe a été fondé en 2004, et 60% de ses parts ont été acquises par Gunvor et Volga Resources en 2012, deux sociétés en mains de l’oligarque Guennadi Timtchenko, sous sanctions depuis l’invasion de la Crimée en 2014. La société est passée en 2012 en mains du couple de Sergueï Tsivilev, un ancien militaire catapulté gouverneur de la région charbonnière Kuzbass, et de la psychiatre Anna Tsivileva, née Poutina et petite «cousine» de l’homme fort du Kremlin, selon l’enquête d’Agents. Cette dernière était la présidente du conseil d’administration de KSL AG à Zoug jusqu’en février 2018.
En 2018, Sergueï Tsivilev a déclaré publiquement qu’il avait vendu cet actif à une tierce personne dont il n’a pas voulu révéler l’identité.
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Mechel
Mechel est composé de plus de 20 entreprises de production charbonnières et métallurgiques. Un temps troisième mineur de Russie, spécialisé dans le charbon de coke (celui utilisé par l’industrie), Mechel a grandi par acquisitions successives grâce à ses levées de fonds sur les marchés publics. Le groupe s’est beaucoup endetté il y a une dizaine d’années pour développer les infrastructures lui permettant de relier ses mines et les marchés internationaux. Il pèse désormais près de 5,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires et possède des actifs (mines, usines sidérurgiques, centrales électriques et ports) aux quatre coins de la Russie.
Le groupe énergétique a aussi la particularité d’être coté en bourse depuis 2004 à Moscou et New-York, où son action a chuté de moitié au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février. Mechel vient d’obtenir auprès du gouvernement l’autorisation de continuer à négocier ses actions en dehors de la Fédération de Russie, en dépit d’une loi adoptée en avril par Poutine.
Mechel a produit 11,3 millions de tonnes charbon en 2021 et négocié pour 7,5 millions de tonnes de coke et de charbon thermique.
Quels liens avec la Suisse?
- Mechel International Holdings AG, Mechel Trading AG, Mechel Carbon AG, 11 Oberdorfstrasse, Baar (ZG)
- Le mineur y a domicilié sa branche de négoce à Zoug en 2005.
Qui possède Mechel?
Malgré la cotation en bourse du groupe, Igor Zyuzin possède encore plus de la moitié (51,54%) des actions de Mechel, contre plus de deux-tiers il y a dix ans.
Igor Zyuzin a commencé sa carrière à 27 ans en tant que contremaître dans la célèbre mine à charbon Raspadskaya (aujourd'hui propriété d’Evraz). Il tire son épingle du jeu deux ans plus tard, en jouant les médiateurs lors d’une grève des mineurs. C’est ensuite depuis des bureaux qu’il gravit avec une vitesse fulgurante tous les échelons du secteur, constituant sa propre multinationale en 2003.
En 2008, Vladimir Poutine s’est personnellement occupé de remettre Igor Zyuzin sur de bons rails. Lors d’une réunion gouvernementale il avait pointé du doigt le mineur, l’accusant d’exporter du charbon de coke à moitié prix de ceux en cours pour l'industrie sidérurgique russe, alors en difficulté. Dans un contexte d'effondrement du cours de l'action Mechel, l’enquête du gendarme russe anticartel a abouti à peine un mois plus tard à une amende pour violation de la législation sur la concurrence.
Depuis ce rappel à l’ordre, le groupe Mechel (et la fortune de son principal propriétaire) ne sont plus que la moitié de ce qu’ils étaient il y a une décennie. Mechel est désormais annoncée en restructuration et a vendu en 2021 ses parts d’Elga Coal au groupe d’Albert Avdolyan.
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KTK
KTK appartient à 49,7% à Safmar Group, à travers la société offshore chypriote Kilton Overseas Limited. Safmar est un groupe financier et industriel russe (pétrole, charbon, potasse, actifs financier, constructions, hôtel, médias). C’est le quatrième producteur russe de charbon. Dès 2019, les actifs charbonniers de Safmar se sont renforcés, avec l’acquisition progressive de parts dans la «Compagnie énergétique du Kouzbass» ou KTK.
KTK est l’un des plus gros exportateurs de charbon thermique. En 2020, sa production était de 9,53 millions de tonnes, dont 6,52 millions de tonnes ont été vendues à l’étranger.
Quels liens avec la Suisse?
- KTK Overseas AG, Grundstrasse 12, 6343 Risch-Rotkreuz (ZG)
- Cette société a été enregistrée en 2015, d’abord à Zoug puis à Risch (ZG).
Qui possède KTK?
La famille Gutseriev contrôle 49,7% de KTK à travers la société offshore chypriote affiliée au groupe Safmar (Kilton Overseas Limited). Les autres actionnaires sont Iskender Khalilov (23,35%) et Viktor Piguchov (24,6%), un ancien sénateur agissant également à travers des entités chypriotes. Les deux hommes sont des proches collaborateurs de Gutseriev.
Selon Forbes, Mikhaïl Gutseriev pèse 1,3 milliard de dollars. Il est le fondateur et l’actionnaire principal de Safmar Group. Le milliardaire mène ses affaires avec son fils Saïd, 34 ans, qui est actionnaire du groupe et dont la fortune est estimée à 1,5 milliard de dollars.
Gutseriev père a été sanctionné par le Royaume-Uni et l’UE en 2021 pour avoir été un «ami de longue date» du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko.