Comment Novartis et consorts maintiennent des prix élevés grâce aux brevets abusifs – en Suisse également
Lausanne, Zurich, 30 août 2024
Un nouveau médicament n’est pas protégé par un seul, mais par des dizaines, voire parfois plus d’une centaine de brevets. Ceux-ci sont intentionnellement déposés de manière étalée dans le temps, ce qui signifie que la durée du monopole d’un produit dépasse souvent largement les vingt ans théoriques prévus par l’Accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette stratégie d’accumulation sans fin de brevets, appelée « evergreening » en anglais, fait depuis longtemps partie intégrante du modèle d’affaires de Big Pharma. En se basant simplement sur le nombre de brevets déposés, la Suisse se vante d’être l’un des « pays les plus innovants ». Or, dans le domaine des médicaments en tout cas, la grande majorité de ces brevets est injustifiée. Plutôt que de permettre de véritables avancées thérapeutiques, ils servent surtout à maintenir un prix élevé grâce au monopole, au détriment des patient·e·s et des budgets de santé publique.
Pour retarder le plus possible l’arrivée sur le marché de concurrents génériques, les géants de la pharma initient systématiquement de longs litiges judiciaires. Et ce notamment aux États-Unis, qui est de loin le plus important marché de l’industrie pharmaceutique, mais aussi en Inde, grande productrice de génériques. L’enquête de Public Eye montre que Novartis joue dans ce domaine un rôle de premier plan : entre octobre 2019 et octobre 2022, le géant bâlois a déposé aux États-Unis pas moins de 25 plaintes pour violation présumée de 9 de ses brevets sur l’Entresto contre 18 entreprises pharmaceutiques ayant signalé leur intention d’y commercialiser des versions génériques. Novartis a même poursuivi l’administration Biden pour avoir mis en place un contrôle étatique sur les prix de l’Entresto. Car ce traitement contre l’insuffisance cardiaque est un véritable jackpot : en 2023, ses ventes s’élevaient à plus de 6 milliards de dollars US – dont 39 millions de francs en Suisse –, soit le plus gros chiffre d’affaires du groupe au niveau mondial. En à peine huit ans, Novartis a déjà réalisé plus de 20 milliards de dollars de ventes grâce à ce produit.
Aux États-Unis, en Inde et de plus en plus en Suisse, ce sont les personnes dépendantes de l'Entresto et d'autres médicaments vitaux qui en paient le prix, directement ou via les assurances sociales étatiques. En Suisse, les médicaments représentent 1 franc sur 4 des dépenses de l’assurance-maladie obligatoire, dont 75 % concernent des produits brevetés. Alors que la pression du gouvernement des États-Unis sur la stratégie d’« evergreening » de Big Pharma ne cesse d'augmenter, les autorités suisses tentent de renforcer encore les droits de propriété intellectuelle de Novartis et consorts. Et quand elles n’y parviennent pas, elles essaient de limiter la marge de manœuvre des pays à plus faible revenu pour lutter contre les abus, comme on l’a vu dans le cadre de l’accord bilatéral de libre-échange récemment conclu avec l’Inde. Au lieu de cela, la Suisse, royaume de la pharma, devrait enfin assumer sa responsabilité politique. En tant qu’État membre de la Convention sur le brevet européen, elle pourrait s'engager en faveur de règles de brevetabilité plus strictes et de leur mise en œuvre.
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