Les mythes autour des brevets

© Mark Henley/Panos

L’industrie de la pharma soutient que les brevets permettent de rentabiliser les nouveaux médicaments et favorisent l’innovation. La réalité est bien différente.

Mythe n°1: les brevets permettent de répondre aux besoins de santé publique

L’industrie affirme que les brevets permettent la recherche et développement de médicaments répondant aux besoins de santé publique. Dans les faits, les priorités en matière de recherche et développement (R&D) de nouveaux médicaments sont déterminées essentiellement par le marché, et non en fonction des besoins réels de santé publique. Le modèle actuel, centré sur les brevets, consacre de fait la domination des multinationales pharmaceutiques. Les populations défavorisées, qui ne représentent pas un marché rentable, doivent faire face à l’absence de R&D pour des médicaments efficaces contre les maladies qui les affectent presque exclusivement. Et quand les traitements existent déjà, ces populations sont confrontées aux prix exorbitants des nouveaux médicaments.

Mythe n°2: sans brevets, pas d’incitations à l’innovation

L’industrie pharmaceutique prétend que les brevets favorisent l’innovation. Sans le droit de brevets, il n’y aurait pas d’incitations à l’innovation pour la recherche et développement de nouveaux médicaments. Or, malgré une augmentation constante du nombre de brevets, la quantité de nouvelles molécules homologuées auprès des agences des médicaments ne suit pas la même courbe, alors que les dépenses de R&D sont en hausse. En outre, une étude menée aux États-Unis a montré qu’entre 2005 et 2015, 78% des médicaments commercialisés ayant obtenu de nouveaux brevets n’étaient pas des nouvelles molécules mais des produits déjà existants. Pire encore, plusieurs études indépendantes ont montré que les deux tiers des nouveaux médicaments mis sur le marché chaque année ne présentent pas de progrès thérapeutique significatif, et que 1 médicament sur 6 est même pire que ceux déjà commercialisés. Afin de sécuriser les profits et gagner des parts de marché, les pharmas n’hésitent pas à multiplier les brevets autour d’une même substance, prolongeant ainsi la durée d’exclusivité d’un produit et retardant d’autant la concurrence des génériques. Cette pratique, connue sous le nom d’«evergreening», fait partie intégrante du modèle d’affaires de ce secteur. Elle menace l’accès des populations aux médicaments vitaux, notamment dans les pays économiquement plus faibles, et freine la découverte de nouvelles substances pharmaceutiques.

Mythe n°3: les brevets sont indispensables pour le maintien d’un équilibre entre les intérêts privés et publics

À l’origine, les brevets ont été mis en place pour garantir un équilibre entre les intérêts privés (récompenser un inventeur ou une inventrice en lui octroyant une exclusivité commerciale afin de récupérer son investissement) et publics (faire bénéficier la société des progrès et diffuser le savoir). Harmonisés dès 1995 sur une durée de 20 ans par les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), les brevets sont censés stimuler l’innovation. Pourtant, plusieurs décennies plus tard, il n’existe toujours aucune preuve empirique que tel est bien le cas. Pire encore, les brevets sont devenus de véritables mécanismes de protection des investissements, destinés à exclure la concurrence et à faire grimper le cours des actions plutôt que de bénéficier à la société. Si les pharmas ont pu mettre rapidement au point des vaccins, traitements ou tests diagnostiques contre le Covid, c’est grâce aux subventions publiques massives obtenues des gouvernements (on a parlé de plus de 100 milliards de dollars!), qui ont en outre socialisé les risques de R&D – les innombrables brevets déposés par les firmes ont en revanche empêché une répartition équitable et leur ont permis de privatiser les profits. L’équilibre privé-public est clairement rompu.

Des remèdes pour restaurer l’intérêt public existent

Au mépris des besoins de santé publique particuliers des pays défavorisés, l’Accord ADPIC a consacré la mondialisation d’un modèle de R&D basé sur les brevets accordés aux firmes pharmaceutiques. Toutefois, des instruments connus sous le nom de flexibilités ADPIC, comme la licence obligatoire, permettent de pallier les défaillances du système des brevets et de rétablir l’accès aux médicaments vitaux. Encore faut-il avoir la possibilité et le courage politique de les utiliser.