Un an après l'invasion de l'Ukraine, la Suisse s'accroche toujours à son modèle d'affaires opportuniste
Lausanne / Zurich, 23 février 2023
En passant au crible une trentaine d’oligarques, Public Eye a déjà dévoilé, en mai 2022, les liens étroits qu’entretient avec la Suisse l’élite économique proche de Poutine. Mais en raison de l’opacité de la place financière, on ignore toujours quelle part des avoirs de personnes sanctionnées dans notre pays a été gelée. Et les autorités compétentes refusent toujours de les traquer sérieusement et de se coordonner au niveau international. C’est pourtant impératif, d’autant plus si la Suisse entend s’engager de manière crédible dans le débat sur la confiscation des avoirs sanctionnés en faveur de la reconstruction de l’Ukraine, dans le respect de l'État de droit. La guerre a par ailleurs montré que les mêmes réseaux sont utilisés pour blanchir des fonds d’origine illégale et contourner les sanctions. Il est donc urgent d’agir pour combler les lacunes du dispositif helvétique de lutte contre le blanchiment d’argent et la criminalité économique.
La place suisse du négoce de matières premières apporte également une aide lucrative au financement de la machine de guerre de la Russie. Avant l’entrée en vigueur de l’embargo sur le charbon russe, en août dernier, une enquête de Public Eye révélait que 75% des exportations russes étaient négociées depuis la Suisse. Pourtant, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) ne dispose toujours pas aujourd’hui des informations nécessaires pour permettre de mener une politique basée sur des faits ou appliquer les sanctions de manière efficace. Avec la récente entrée en vigueur de l’embargo sur le pétrole russe, la principale source de revenus de l’appareil d’État de Poutine est au centre de nos recherches. La rapidité et la rigueur avec lesquelles la Suisse – où 50 à 60% du pétrole russe était encore négocié au début de la guerre – met en œuvre ces nouvelles sanctions sera un indicateur important de sa crédibilité politique. C’est aussi pour cette raison que notre pays doit se doter au plus vite d’une autorité de surveillance pour le secteur du négoce de matières premières. Celle-ci garantirait notamment que les matières premières négociées à Genève ou à Zoug ne proviennent pas de zones de conflit ou de pays faisant l’objet de sanctions internationales.
Ce secteur à haut risque profite aussi massivement de la guerre et des fluctuations sur les marchés qui en résultent. Qu’ils commercialisent du pétrole, du charbon ou des produits agricoles, les négociants suisses ont tous enregistré des bénéfices records depuis le début du conflit. Au lieu d’accorder à Glencore, Cargill et consorts de nouveaux avantages fiscaux, à l’instar de la «taxe au tonnage», la Suisse doit introduire un impôt sur les bénéfices exceptionnels tirés de la crise et garantir une redistribution équitable. La guerre en Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie ont exposé, au niveau international, les risques et les effets délétères du modèle d’affaires des places financière et des matières premières helvétiques. La Suisse et ses multinationales disposeraient pourtant d’importants leviers pour limiter le financement de la machine de guerre de Poutine, comme l’a montré Public Eye. Mais un an après l’invasion de l’Ukraine, la volonté politique, tout comme les données et les lois nécessaires pour appliquer les sanctions de manière systématique et rigoureuse, et pour réguler le négoce de matières premières, font toujours cruellement défaut.
Plus d’informations auprès de:
Adrià Budry Carbó, enquêteur matières premières, +41 78 738 64 48, adria.budrycarbo@publiceye.ch
Géraldine Viret, Public Eye, responsable médias, +41 78 768 56 92, geraldine.viret@publiceye.ch